"Il faut cultiver notre jardin"

mercredi 13 août 2014

Sacrée Edith Wharton !


À  Starkfield, petite ville du Massachusetts, Ethan Frome vit dans sa ferme sous la houlette d'une femme capricieuse, hypocondriaque et mauvaise. Zenobia se croit atteinte de toutes sortes de maux et ne prend plaisir qu'à deux choses dans la vie : se préoccuper de sa petite personne et martyriser son entourage (son époux Ethan et sa cousine, Mattie). L'histoire se déroule dans un paysage glacial et enneigé, âpre, à l'image des tensions qui règnent dans la maison de Zenobia. A l'inverse, Ethan est un être doux, courageux et humble qui ne rechigne pas à la tâche, essaye tant bien que mal de faire marcher sa scierie et la ferme, notamment pour pourvoir aux achats intempestifs de médicaments onéreux destinés à soigner les maladies imaginaires de son épouse. Peu de plaisirs dans cette vie difficile si ce n'est les balades dans la nature, le plaisir des marches solitaires ou de ses promenades avec Mattie. La douceur et la sensibilité de la jeune femme adoucissent ses journées mais leur complicité discrète n'est pas sans susciter la jalousie de Zenobia qui s'avère redoutable....


Ce court roman est tout en tension et construit sur une analepse : dès les premières pages, on apprend, en effet, qu'Ethan Frome est une figure frappante de Starkfield par sa haute taille et son visage tragique. On sait donc qu'il lui est arrivé quelque chose et on redoute, à chaque page tournée, de découvrir la cruelle vérité. Car Edith Wharton se révèle experte en la matière pour faire monter la tension. Une oeuvre magistrale même si elle n'est guère optimiste.

http://www.franceinter.fr/emission-le-carrefour-de-la-culture-ethan-frome-dedith-wharton-nouvelle-traduction-chez-pol 

lundi 11 août 2014

Le sermon sur la chute de Rome

Eté 1918, une photo capture un moment de joie (de répit) après la guerre. Des années après, Marcel contemple les visages qui ne sont plus là et le cliché sur lequel il n'apparaît pas encore. Première image symbolique de ce qu'est la vie humaine qui passe, laisse des traces qui s'effacent inexorablement. 
De fils blessé, mari fataliste, Marcel est devenu père absent puis grand-père injuste. Mais c'est son petit-fils, Mathieu, dont on va suivre le parcours - à l'ombre de celui du grand-père et du père. Jérôme Ferrari nous entraîne donc dans le sillage de plusieurs générations et nous rappelle que les mondes crées par l'homme sont comme condamnés/voués à disparaître malgré leurs efforts, leur bonne volonté. Petitesse humaine ? fragilité terrestre ? orgueil démesuré ? A chacun d'y trouver sa réponse.
Dans un village corse perché dans les hauteurs, deux jeunes gens abandonnent leurs études (plutôt brillantes pour Libéro) de philosophie et décident de reprendre le bar local. Ils ont le sentiment qu'ils peuvent y créer le "meilleur des mondes possibles" et s'accomplir sur cette terre qu'ils sentent leur. Le projet prend forme, le bar revit, la vie y est douce et les esprits et les corps y trouvent leur repos. Insensiblement, pourtant, les choses se dérèglent : après l'akmé c'est la chute, c'est l'enfer ! Mathieu et Libéro ouvrent la boîte de Pandore et rien ne sera plus jamais comme avant.
Dans cet ouvrage (prix Goncourt 2012), Jérôme Ferrari nous invite - sans jamais s'ériger en donneur de leçons - à réfléchir à ce que sont nos rêves, nos projets de vie. Une très belle écriture qui nous porte du début à la fin d'un roman fort et puissant. Une histoire assez noire et pessimiste néanmoins.
Le Sermon sur la chute de Rome a été prononcé par saint Augustin, en 410, dans la cathédrale disparue d'Hippone, avec le message : « Le monde est comme un homme : il naît, il grandit, il meurt.»

vendredi 8 août 2014

Gwaz-Ru, l'homme rouge de Quimper

1920. Hervé Jaouenn nous entraîne dans les environs de Quimper sur les pas de Nicolas Scouarnec qui, après avoir quitté la campagne de Briec et son statut de journalier, s'engage comme manoeuvre pour devenir maçon. Il n'en peut plus d'être au service des nantis et entend gagner son autonomie. Il croit un temps aux discours communistes, se laisse embarquer au Parti mais n'en conserve pas moins sa liberté de penser et son esprit frondeur. Il va vite croiser la jolie Tréphine dont il tombe amoureux et avec qui il va fonder une famille. Courageux et travailleurs, ils ont la chance de croiser de bonnes fées, Mouerb et Yon, qui leur proposent de venir les aider à cultiver leurs terres en échange d'un hébergement. L'idée est de leur céder l'affaire quand le temps sera venu. C'est donc sur les hauteurs de Quimper et sur la route de Bénodet qu'ils vont trouver leur paradis (après le grenier glacial du centre). Gwaz-Ru abandonne la pierre pour revenir à la terre, refusant de se soumettre aux diktats contraires à ses valeurs. Gwaz Ru et les siens traversent tant bien que mal l'entre deux guerres, la guerre et l'épuration. 
Une histoire sympa (un peu gentillette) qui vaut pour les personnages truculents (à commencer par Gwaz Ru), la peinture des milieux communiste et nationaliste bretons mais aussi l'évocation de la résistance bretonne et des maquis.

mardi 5 août 2014

Un peu de mathématiques ?

Yannick Grannec signe, avec La déesse des petites victoires, son premier roman. Qui est cette déesse ? Adèle Gödel, veuve du célèbre mathématicien qui fut, notamment, ami avec Einstein. Pourquoi ce titre ? parce qu'il n'est pas donné à tout le monde de vivre avec un génie qui se consacre totalement à ses recherches, parfois aux dépens de sa propre personne et en mettant en danger sa santé. Il faut s'effacer, accepter les lubies, l'égoïsme, l'hypocondrie de l'autre, la folie, accepter de ne pas recevoir les marques d'affection que l'on souhaiterait recevoir. Mais c'est aussi parce que, vent debout, Adèle n'a cessé d'épauler son mari pour l'aider à braver les tempêtes et à traverser l'horreur nazie, les préjugés, le maccarthysme, les moments de doute.....
Le roman débute à Princeton en1980. Une jeune documentaliste à l'IAS (Institut de Recherche Avancée) se voit confier la tâche de récupérer les documents laissés par le grand mathématicien Kurt Gödel après sa mort. Mais cet héritage, si précieux pour la science, est entre les mains de sa veuve. Acariâtre, revêche Adèle n'entend pas si facilement céder ces papiers aux chercheurs. Il va falloir de la patience et du temps à Anna pour parvenir à ses fins. Elle gagne assez rapidement la confiance de la veuve, accepte de l'écouter et nous entraîne dans le sillage des plus grands mathématiciens du XX è siècle.
La construction du roman alterne les chapitres qui évoquent la vie d'Anna, célibataire qui se cherche et se laisse aller et qui a bien du mal à accepter qu'elle aime Léonard - ami d'enfance- et génie du cryptage et ceux qui laissent la parole à Adèle. Une amitié se tisse entre les deux femmes et des échos se font entre leurs deux vies. Le dialogue qu'elles nouent s'avère aussi important pour Adèle - que, pour une fois, on écoute - et pour Anna.
Un bon roman malgré quelques longueurs - notamment lors de la reconstitution de discussions mathématiques et philosophiques mais qui ont le mérite de redonner corps et vie à Einstein et d'autres grands scientifiques.