"Il faut cultiver notre jardin"

vendredi 30 septembre 2016

Les vies multiples d'Amory Clay

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la très jeune Amory Clay se voit offrir par son oncle Greville un appareil photo et quelques conseils rudimentaires pour s’en servir. Elle ignore alors que c’est le déclencheur d’une passion qui façonnera irrévocablement sa vie future. 
William Boyd nous entraîne à la suite de la vie tumultueuse et remplie d'Amory Clay, photographe prometteuse et toujours sur la brèche. Née en 1908, disparue en 1978, Amory a la bougeotte : impossible de rester dans le cadre ! Berlin, Paris, Londres, le Vietnam, les USA, tel est son terrain de jeu. C'est tout le XXè siècle qui défile dans viseur : lendemain de la 1ère guerre et rationnement, plongée dans le milieu interlope de Berlin, montée du fascisme (elle se fait tabasser à Londres), journaliste de guerre en Europe avant le débarquement, journaliste accréditée au Vietnam..... Elle a tout vu, tout vécu, Amory. Le récit est ponctué de clichés qu'elle prend, n'hésitant pas à rivaliser d'imagination pour prendre des photos à la dérobée (ah, les sacs à mains !). Et ses mains tiennent des appareils aux noms qui font rêver : Box Brownie, 2A Kodak Junior à soufflet, Butcher Klimax, Ensignette, Voigtländer, Zeiss Contax, Leica. Bien équipée ! Au fil des pages, au gré des planches contact et des tirages se dessine les contours tantôt nets tantôt flous de son parcours. Les pages se tournent comme celles d'un album de souvenirs. Car, oui, Boyd cède à la tentation de la narration croisée passé/présent mais, heureusement, il fait cela avec doigté, précision. Ce faisant, il nous embarque dans l'univers des femmes photographes qui témoignent d'une époque. Et l'on croit à sa construction littéraire. car il s'agit bien de cela : Boyd crée, invente, fait naître une femme hybride mélange de ces Margaret Bourke-White, Lee Miller et autres hussardes de la photographie. Un être "fictif parce qu'inventé, concret parce que produit par des vies réelles". C'est là tout le brio de l'auteur.
C'est non seulement un bel hommage à cet art et à sa technique mais aussi un bien beau portrait de femme. Amory est vive, fringante, libre, touchante et vivante. Un très bon roman.

samedi 17 septembre 2016

La renverse

En furetant dans les rayons de la bibliothèque, je m'arrête sur le dernier Olivier Adam. Je dois avouer que j'avais un peu arrêté de le lire tant ses histoires sont souvent sombres et déprimantes. Mais j'en avais entendu du bien,  alors je m'y risque.  
"La renverse: période de durée variable séparant deux phases de marée ( montante ou descendante ) durant laquelle le courant devient nul".
Exilé en Bretagne, le narrateur, Antoine, cherche à oublier le passé, ne s'embarrasse de rien dans sa vie, notamment sa vie amoureuse. On sent qu'il souhaite être le plus léger possible, sans réelles attaches et surtout ne veut guère laisser prise sur lui. Un jour, après une ballade sur un sentier côtier et dans un paysage âpre (cliché sur la Bretagne ?), il entre dans le bar du coin et entend une voix à la radio annoncer la mort de Jean-François Laborde, ancien sénateur-maire de M., en banlieue parisienne, et ancien ministre.  A son retour chez lui, il ne peut s'empêcher d'effectuer quelques recherches sur la toile et ouvre la boîte de Pandore qu'il avait pourtant bien décidé de laisser verrouillée.
On suit alors le flux et le reflux des souvenirs brassés avec le présent dans lequel Alexandre veut à tout prix rester ancré malgré tout. Et l'on comprend, au fil des pages, qu'il a définitivement tourné le dos à sa vie d'avant, à sa jeunesse, à sa mère, à ses parents. 
C'est violent certes, mais nécessaire pour se reconstruire quand on a été confronté à un sordide faits divers impliquant sa mère, surtout quand celle-ci se targuait d'incarner la figure maternelle parfaite. Olivier Adam nous plonge, avec La renverse, dans un scandale politique peu reluisant et révélateur des jeux de pouvoir dans lesquels les puissants n'hésitent pas à se mouiller pour exercer leur autorité, se gargariser de leur influence quitte à abdiquer toute conscience morale.
C'est pas mal du tout : les personnages abjects sont décrits dans toute leur crudité, le narrateur est un peu paumé et ses doutes le rendent assez touchant.

dimanche 11 septembre 2016

Sens dessus dessous

Un joli bijou que nous offre Milena Agus en nous plongeant dans l'atmosphère foutraque d'un immeuble de Cagliari en Sardaigne. 
En haut vit M.Johnson senior, un vieil excentrique qui se promène souvent avec les lacets défaits et des vestes trouées. Peu lui importe, lui ce qu'il aime c'est jouer du violon. Sa femme, lassée de son originalité, soucieuse de son bien-être et de vivre dans le luxe, est partie. Leur fils Johnson junior ne tarde pas à débarquer avec son enthousiasme à toute épreuve, sa joie de vivre et son petit garçon Giovannino - adorable, mesuré et sensible. A l'étage en dessous vit Alice, la narratrice, dont le père s'est suicidé et la mère devenue cinglée. A l'entresol vit Anna et sa fille Natasha d'une jalousie maladive. Anna tire le diable par la queue pour survivre, Alice est étudiante en lettres et en mal d'amour, Natasha a un fiancé et n'a qu'une peur : qu'on le lui souffle. On l'aura compris, chacun des personnages traîne ses casseroles, a une vie pas toujours simple. Mais les escaliers de l'immeuble deviennent le lieu où l'on se croise, où l'on se parle, où se nouent des liens et où se décident des changements qui vont mettre l'immeuble sens dessus dessous. Anna rebaptisée Anina va devenir gouvernante (et peut-être plus) dans l'appartement du haut aux grandes baie vitrée et à la vue sur mer. Alice continue à chercher le grand amour, M.Johnson junior essaye d'apprendre aux autres à vivre la vie comme elle vient.
Ce récit de vies entremêlées est léger, empreint de folie mais n'hésite pas à aborder des thèmes plus sérieux comme le suicide, la maladie, l'homosexualité ou encore l'homoparentalité.
Un très bon moment.

jeudi 8 septembre 2016

Une ombre sans doute

Michel Quint est un auteur que j'ai découvert il y a peu. Et ce nouveau titre que je viens de lire confirme que c'est un auteur à suivre.
Certes dans ce roman, on retrouve les époques entremêlées mais c'est pour mieux tisser la trame d'une histoire familiale qui trouve des échos dans une histoire personnelle, intime, comme si tout était lié, comme si les événements s'expliquaient les uns les autres. Mais ça on ne le comprend qu'à la fin et c'est ce qui fait la force de la construction ciselée par l'auteur.

A la mort de ses parents, le narrateur revient dans le village de son enfance, dans le Nord. Ses parents sont morts, enfin, ils ont plutôt décidé de partir. Pourquoi ? il ne le sait pas et n'est pas certain de vouloir le savoir. Sauf qu'il croise la route d'une amie de ses parents qui va lui raconter le passé. Commence alors une plongée dans les souvenirs. Retour pendant la Seconde Guerre mondiale : les parents du narrateur viennent de se rencontrer. Elle travaille dans un atelier de couture où les ouvrières chantent, aiment et pleurent leurs amours passées. Tout le monde cherche à vivre en oubliant les noirceurs de la guerre. L'arrivée d'un espion anglais bouleverse la petite vie de ce groupe : jalousies, amour, désirs, résistance, héroïsme, compromission..... Le narrateur reconstruit le passé de ses parents comme on place une à une les pièces d'un puzzle. Cet homme ambigü (quelle est donc sa profession ?), faible par moment, va peu à peu se trouver, se retrouver et mieux comprendre d'où il vient. Ce roman est donc l'histoire de la révélation d'une identité, de la compréhension de soi et de la réconciliation avec le passé. Un beau texte.

samedi 3 septembre 2016

On ne voyait que le bonheur

Après L'écrivain de la famille, La liste de mes envies, La première chose qu'on regarde, je tombe sur le nouveau roman (2014) de Grégoire Delacourt, ex-publicitaire converti en romancier. Pourquoi pas avant la rentrée ? 
C'est l'histoire d'Antoine, expert en assurance qui revient sur sa vie et ses souvenirs. A coup de chapitres très courts, ayant pour titre des chiffres liés au contenu du texte (bof), il remonte le fil de sa vie : son enfance, ses parents, la mort d'une de ses soeurs jumelles, le départ de sa mère, un père mutique incapable d'exprimer sa tendresse, la rencontre avec sa femme, les errements amoureux de celle-ci, l'arrivée des enfants et le rêve d'une vie de famille où l'on ne voit que le bonheur, la descente aux enfers, la chute, le drame, la maladie du père .....
Beaucoup de pathos : il n'a vraiment pas de bol cet Antoine, ses parents non plus....
Un roman construit en triptyque (au moins on n'a pas l'alternance des époques, des points de vue...) : le nord de la France, la côte ouest du Mexique. Le dernier tableau s'affranchit de la géographie et nous plonge dans les écrits de la fille d'Antoine qui essaye de se reconstruire et - elle aussi - de recoller les morceaux.
Une première moitié de roman un peu lourde et excessive en pathos : à force d'accumuler les malheurs et les coups du sort l'auteur peine à convaincre. La partie mexicaine est plus légère et correspond au moment où le héros s'est allégé de sa colère contre la vie, contre ses parents, contre les autres et contre soi-même. La dernière partie, enfin, permet un happy end un peu convenu et mièvre même si elle est porteuse d'espoir sur la possibilité de se reconstruire après des événements terribles.
Bref, un roman qui se lit mais qui est un peu convenu. Une écriture simple et sans grand effet de style.