"Il faut cultiver notre jardin"

mercredi 30 janvier 2019

De l'art de réfléchir à sa pratique professionnelle

Ou comment transformer une immobilité obligatoire.
Rupture du tendon d'Achille = pause obligée pour que la machine se reconstitue.
Lecture d'ouvrages sérieux et inspirants pour réfléchir à la manière dont on peut construire des cours plus efficaces.
Lus donc
Apprendre ! de S.Deahaene
Mets-toi ça dans la tête ! Brown, Roediger, Mc Daniel
Cessons de démotiver les élèves de D.Favre
Pour une enfance heureuse C.Gueguen
A garder pas loin pour relire certaines pages !

dimanche 20 janvier 2019

Quelques BD

Les tomes 4 et 5 de la série des Vieux fourneaux où les papys loufoques nous entraînent une fois de plus dans des aventures rocambolesques.
Une jolie découverte : Sur les ailes du monde, Audubon de F.Grolleau et J.Royer.
L'histoire vraie du premier scientifique américain - d'origine française et naturalisé américain, entré au Panthéon national. En 1810, John James Audubon s'embarque sur le Mississipi pour son premier voyage d'exploration. Quel est son objectif ? Découvrir et peindre tous les oiseaux du continent. Car J.J. Audubon est un excellent peintre, mais aussi un vrai aventurier. Et, pour lui, il est essentiel de voir les animaux dans leur environnement pour mieux représenter la vie.
Peu doué dans les affaires (il a contracté beaucoup de dettes) et soutenu par sa femme qui le voit s'étioler dans une vie qui ne lui convient pas, Audubon se lance dans une traversée du monde sauvage de l'Amérique. Sa quête et son acharnement lui permettent de supporter bon nombre de mésaventures. Les auteurs ont fait le choix de raconter certains épisodes de ses aventures et les font s'enchaîner dans une belle continuité malgré tout. Un bel hommage à un homme tenace et dont le rêve a bien failli, plus d'une fois, lui coûter la vie. Des planches splendides qui ne sont certes pas dans l'esprit naturaliste de l'époque (il dut se rendre en Grande Bretagne - où il croisa Darwin - pour les faire enfin publier) mais qui rendent compte d'une nature immense et foisonnante aux couleurs chatoyantes. S'il ne manquait pas de prélever (avec un fusil chargé) des spécimens pour les étudier avant de les naturaliser, Audubon est tout de même un homme dont la conscience écologique s'éveilla au gré de ses aventures.

Davodeau et Joub Il s'appelait Géronimo.
Élevé en France dans une ferme coupée du monde, Geronimo est un jeune garçon un peu paumé qui rêve d'aller aux États-Unis. Un jour, il prend son courage à deux mains et décide d'embarquer illégalement à bord d'un cargo. Persuadé de se rendre au fameux "pays des Indiens", il découvre qu'il fait en réalité route vers... la Guyane. Là-bas, sans ressources, obligé de faire la manche pour survivre, il va lui falloir un sérieux coup de pouce du destin pour s'en sortir... Lecture agréable mais le scénario manque peut-être un peu de profondeur. La quête de l'identité est effleurée.

Lune et l'autre de G.Germain nous emmène au Japon où trois personnages seuls et confrontés à des moments charnière de leurs vies vont se rencontrer, s'aider.
La prostitué Risa vient de tuer son mac. En cavale, elle découvre une étrange petite fille, Hana, qui semble elle aussi voyager seule et fuir la grande ville sans véritable but. L'une et l'autre vont sympathiser, au point de ne plus se quitter et de poursuivre ensemble leur périple hasardeux. Pendant ce temps, le passant qu'a heurté Risa dans sa fuite, Shin'ichiro, est plongé dans une introspection inquiète et douloureuse. Incapable d'assumer sa paternité prochaine, débordé dans son travail, ce jeune addict au travail se sent perdre pied et voit dans l'inconnue dont il vient de trouver le portefeuille une possible bouée de sauvetage. Mais lorsqu'il se rend chez elle, il découvre à côté de la jeune femme alitée le cadavre d'un homme.Sur la route des deux femmes, un vieil homme dans une maison isolée leur offre l’hospitalité. Il élève des lapins et raconte des histoires de lune. Des espaces temps poreux, des événements étranges et des disparitions mais la magie japonaise opère.
Une jolie lecture.

vendredi 18 janvier 2019

Au coeur de l'ouragan

Landfall de Ellen Urbani
En 2005, l'ouragan Katrina dévaste la Nouvelle-Orléans. C'est un désastre humain et écologique. Rose, âgée de 18 ans, accompagne sa mère qui est bien décidée à aller porter secours aux survivants. La voiture est chargée de manteaux, de vivres, de produits de première nécessité. Elles prennent la route après une petite friction : parfois elles ont du mal à communiquer même si, globalement, la mère et la fille s'entendent bien. Sur le chemin, leur véhicule sort de la route et percute une jeune fille. L'accident est violent, Rose est la seule à en réchapper. Commence alors une double période de deuil : elle a perdu sa mère et se retrouve seule mais elle se sent aussi responsable de la mort de cette fille, Rosy, qu'elle ne connaît pas et pourtant dont elle a le sentiment d'être proche. Est-ce parce qu'elle porte les baskets de cette fille ? est-ce parce que Rosy avait sur elle une page d'annuaire déchirée avec leurs coordonnées ? Commence alors une enquête qui va permettre à Rose de retracer le parcours de Rosy mais aussi de mieux comprendre son histoire personnelle et l'éducation reçue de sa mère. Un parcours qui apaise, qui permet de comprendre et de mieux s'accepter.
Deux trajectoires, deux vies qui, a priori, n'ont rien en commun mais dont on découvre au fil des pages ce qui les unit.
Un roman bien écrit, une intrigue bien menée avec une alternance de chapitres (un chapitre pour chaque fille) qui se comprend et qui permet de nouer les fils entre les deux univers : l'univers de la petite blanche et celui de la petite noire.
https://www.babelio.com/livres/Urbani-Landfall/820163

mardi 15 janvier 2019

Manège Petite histoire argentine

Laura Alcoba nous raconte une part de son enfance en Argentine.

"Maintenant, nous allons vivre dans la clandestinité, voilà exactement ce que ma mère a dit. Pour la trappe dans le plafond, je ne dirai rien, même si on venait à me faire très mal. Je n'ai que sept ans mais j'ai compris à quel point il est important de se taire."
Argentine, fin des années 70, en plein milieu d'une guerre civile, opposant l'armée et les autres (les résistants au régime), telle est la toile de fond de ce témoignage.
La narratrice nous raconte à hauteur d'enfant ce qu'elle a vécu : l’arrestation de son père, les visites en prison, l'entrée en clandestinité, la nécessité de faire attention à ceux à qui l'on parle, les caches et réunions secrètes. Un regard pas si naïf, qui retranscrit l'ambiance tendue mais aussi les espoirs de ceux qui s'opposaient à un régime.  
Un beau témoignage qui rend hommage à ceux qui s'engagent au péril de leur vie.

 

lundi 14 janvier 2019

Le lambeau

Philippe Lançon, un des rescapés des attentats de Charlie Hebdo, raconte son parcours depuis le 7 janvier 2015 et se raconte dans le Lambeau.
Un texte extrêmement bien écrit, nourri de la culture de son auteur, amateur de musique classique et de textes ardus (Kafka, Thomas Mann, Proust...) mais aussi de peinture, de sculpture, d'art.
Un texte écrit d'une écriture au scalpel, aux phrases travaillées et denses.
Un texte qui raconte l'après des attentats et la disparition de celui d'avant.
Un texte qui donne la place aux morts : des visions terribles au début puis pacifiées. Ils seront toujours là tous ceux que la violence aveugle et stupide a emporté dans un bain de sang.
Un texte qui explique comment on survit à des actes effroyables, atroces et impensables.
Un texte qui nous fait vivre de l'intérieur des événements qui ont ébranlé la France entière.
Un texte qui nous fait suivre une lente reconstruction (du bas du visage détruit et réduit en bouillie et à l'état de béance par les balles des frères K). 17 opérations, deux hôpitaux parisiens
Un texte qui nous plonge, non sans humour et auto-dérision dans la psychologie de la victime.
Un texte qui rend hommage aux soignants, aux médecins, aux chirurgiens, aux kinés, aux psy, aux infirmières et infirmiers, aux policiers.... 
Un texte qui compte ceux qui ont compté dans l'après : des parents, des amis, des proches.
Un texte qu'il faut lire car il ne remue pas le couteau dans la plaie, il ne joue avec le voyeurisme, il ne fait pas commerce de cette expérience. Il répare : il répare le presque-mort laissé vivant par les terroristes, il répare bien des plaies.
Une introspection puissante, jamais larmoyante, une belle réflexion sur le rapport à la haine, au pardon. Une sacrée leçon de vie ! Merci !

jeudi 10 janvier 2019

Magistral !

L'équilibre du monde de Rohinton Mistry est une véritable épopée. 
Inde 1970-1980, quatre personnages qui n'étaient pas forcément nés pour se rencontrer mais que le destin a rapproché. Ce roman est l'histoire de personnes qui font tout pour conserver un minimum de dignité dans un pays dont les rouages semblent plutôt avoir pour fonction de broyer les plus faibles. 
Dina Dalal, jeune fille vive et intelligente, se destine à des études de médecine. Mais la mort de son père et le rôle que s'arroge son frère sur sa famille la prive de ses ambitions. Lui, il souhaite la voir plutôt devenir l'épouse d'un de ses amis aussi suffisants que lui ou esclave domestique. Charmant tuteur ! Son caractère et son énergie vont néanmoins permettre à Dina de conserver son indépendance, à coup de privations et de travail. Le jeune Maneck se voit, lui, contraint de quitter ses chères montagnes pour entreprendre des études supérieures. Loin du cadre de son enfance et de ses parents, il peine à trouver dans Bombay sa place. Les deux tailleurs, Ishvar et Omprakash, peut-être les personnages les plus attachants, sont prêts à tout pour enrayer la roue du destin et gagner un peu mieux leur vie. Issus de la caste des intouchables, ils sont devenus tailleurs, suite à la décision du père d'Ishvar,  pour échapper à une vie sordide remplie d'humiliations et d'injustices. Leur séjour à Bombay sera-t-il vraiment à la hauteur de leurs espérances ?
Ces quatre personnages hauts en couleurs vont être réunis par les hasards du destin (et les choix du romancier) et, avec eux, nous plongeons dans la vie mouvementée et désespérante de millions d'indiens qui vivent dans une misère extrême. L'auteur brosse le tableau d'une société absurde où règnent en maître les plus forts, où la corruption seule permet d'exercer une autorité et où les plus faibles sont contraints de baisser la tête. Autour des protagonistes principaux gravite toute une faune de la pire espèce : le récolteur des loyers, les fonctionnaires de justice et de l'administration sociale, le maître des mendiants et ses esclaves, un coiffeur quasi fou qui fait commerce des cheveux, un montreur de singes détruit mais aussi le premier ministre - Indira Gandhi- totalement déconnectée de son peuple, ridicule et autoritaire qui n'a de public à ses meetings que parce qu'on l'on y déverse la foule des bidonvilles à qui l'on a fait miroiter un peu de thé et de nourriture. Tout cela sur fond de plans d'amélioration de la ville avec la destruction inopinée de bidonvilles qui fragilisent davantage encore les plus pauvres, d'élections truquées, de travaux forcés inhumains (on se croirait en Chine ou au Goulag) et, le pire, la fameuse campagne de stérilisation pour empêcher l'augmentation de la population !
Dina, jeune veuve désireuse d'échapper à la férule de son frère, décide de prendre son destin en mains et embauche deux tailleurs qu'elle va faire travailler dans son appartement. Pour boucler ses fins de mois, elle décide également de prendre un "hôte payant" en la personne de Maneck qui ne supporte plus les brimades et les conditions déplorables de la cité universitaire. Et tout ce petit monde va peu à peu prendre ses marques et apprendre à cohabiter voire à vivre ensemble. Les conditions de vie des tailleurs sont atroces : ils s'installent dans un bidonville et sont à la merci de décisions arbitraires prises par des employés véreux et corrompus. La description de leur cadre de vie rappelle à tout un chacun que les besoins élémentaires des hommes ne sont pas toujours assouvis (accès à l'eau, aux sanitaires, à la nourriture). Dina est, elle, bien décidée à imposer son autorité, tant sur le jeune étudiant dont elle souhaite guider les études (elle sait bien ce que l'on devient lorsqu'on ne va pas au bout) que sur les tailleurs avec lesquels elle se refuse à la moindre familiarité. Mais peu à peu l'appartement reprend vie et des liens se forment entre les personnages qui vont même recréer une sorte de famille. 
Ce livre offre au lecteur une immersion dans une société profondément inégalitaire, injuste et corrompue où pour bon nombre de miséreux le quotidien n'est qu'une question de survie. Un quotidien parfois sordide : la faim se fait souvent sentir, la saleté, les vers, les cafards, la distribution d'eau intermittente, autant de détails crus d'une réalité malheureusement tangible. Mais pas de misérabilisme dans le récit; l'auteur confère à ses personnages une grande dignité qui les empêche de désespérer. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : conserver sa dignité, se relever face aux événements les plus violents. C'est une société qui marche sur la tête, où certains pour leur profit personnel sont prêts à oublier la valeur de la vie humaine qui n'est qu'une marchandise.
Un récit dur et poignant mais dans lequel pointent de beaux moments de fraternité et de partage. A lire absolument !

samedi 5 janvier 2019

Les limons vides

Le livre de Dina de Herbjorg Wassmo est une trilogie dont je viens de découvrir le premier tome.
Ce roman nous embarque dans la Norvège du  XIXè, au pays des fjords et de la nature sauvage, sur les pentes des montagnes enneigées. Et c'est par une tornade folle que nous nous laissons emporter. La faute non seulement au climat âpre mais aussi au personnage principal, véritable ouragan, Dina la sauvageonne dont personne ne peut canaliser l'énergie brute. Cette femme indomptable, qui n'écoute que ses instincts les plus primaires, est celle par qui tout arrive.
Responsable de la mort de sa mère malgré elle, elle a redonné vie à Jacob, jeune veuf et commerçant prospère qui se laissait aller; elle souffle aussi le froid et le chaud sur le domaine dont elle devrait être la maitresse posée et délicate, sage et organisée. Elle s'échappe d'une vie à laquelle elle n'adhère pas en montant dans les arbres, en chevauchant à cru les paysages du cercle polaire, en se baignant en plaine nuit...... Parfois, comme par miracle, elle accepte de jouer du violoncelle dont elle a appris les rudiments grâce à un professeur particulier qui avait presque réussi à l'apprivoiser. Surgissent alors des moments de grâce.
Dina est une pépite non taillée, une pierre brute que personne ne réussira jamais à polir. Sans règle et sans limite, elle est la vie à l'état pur et, malgré ses bizarreries, on se prend à l'aimer.
Un livre qui nous emporte loin des sentiers battus.

vendredi 4 janvier 2019

L'héritage d'Esther

Un bien joli petit roman du Hongrois Sandor Marai. Merci Nathalie !

Esther vit paisiblement, avec Nounou, dans une petite maison entourée d'un jardin fleuri et qui satisfait ses besoins. La vie s'écoule tranquillement, sans grande surprise voire avec monotonie - comme dans une parenthèse où l'on retient son souffle. Et c'est bien ça : l'arrivée de Lajos, éternel séducteur et escroc, vient bousculer l'équilibre précaire que les deux femmes vieillissantes ont construit pour ne pas se laisser envahir par les regrets du passé. On respire un grand coup et l'on plonge dans les abîmes de l'âme humaine.
Et ça tangue, et ça frémit et ça frissonne ! Dernier acte de la dépossession entamée par cet horrible bonhomme : déposséder Esther de sa maison, de son dernier bien. Comme dans une tragédie, on sait dès le début que cela se terminera mal pour notre sage Esther. Trop sage ? trop bête ? trop amoureuse peut-être.
Ce court roman nous dépeint donc la confrontation entre deux êtres, deux âmes si différentes mais si intimement liées. Dans le huis-clos de la petite bicoque, s'affrontent deux êtres qui ne jouent pas à égalité. Esther c'est l'éternelle perdante, celle à qui Lajos a tout pris, celle qui a été blessée dans son amour-propre lorsqu'il a épousé sa sœur, celle qu'il n'a jamais respectée. Lajos c'est le bellâtre, sans dignité, l'éternel menteur et hâbleur, l'égoïste suprême. Mais comment, dès lors, comprendre qu'Esther accepte cette ultime insulte ? C'est ce que Sandor Marai examine, sondant le fonds des âmes et des coeurs. Et même si l'on a envie qu'Esther s'oppose à sa famille qui n'en est pas une, on finit par comprendre son abdication totale. C'est parce qu'ils se sont aimés et que "la loi de ce monde veut que soit achevé ce qui a été commencé".
Poids du passé, cruauté, désillusion, trahison, autant de thèmes peu amènes qui sont mis en scène par l'auteur avec une intensité et un talent indéniables.