"Il faut cultiver notre jardin"

lundi 12 août 2019

Une jolie pépite

Les huit montagnes de Paolo Cognetti nous emmène dans la montagne du nord de l'Italie. Pietro est le fils unique d'un couple milanais. Pour eux, la montagne constitue une échappatoire à la vie bruyante, polluée et stressante de la ville qui affecte particulièrement le père Giovanni. Là, ils se retrouvent. Les parents renouent avec leur jeunesse... dont ils parlent peu mais qui a forgé leur couple. Le petit garçon, lui, découvre la nature sauvage de la vallée d'Aoste. Ils finissent par louer une petite maison toute simple à Grana et c'est là que le narrateur va se lier d'amitié avec un garçon du coin, Bruno, un vrai montagnard. Celui-ci va l'initier au torrent, aux éboulis, aux endroits secrets, aux vieilles cahutes abandonnées..... bref, il lui ouvre les portes de son territoire. Pietro va aussi découvrir avec son père les longues randonnées en montagne, le plaisir de marcher sur un glacier... mais aussi le mal de montagne. Ce seront alors des souvenirs ambivalents d'ascensions à deux ou à trois quand Bruno les accompagne. Il le suivra pendant un certain temps jusqu'à ce qu'un jour, il décide de laisser son père seul poursuivre ses ascensions qui l'éloignent des autres. Il préfère rester plus bas, arpenter avec Bruno les pentes du Grenon. Ils passeront tous leurs étés jusqu'à ce que Bruno prenne le large vers d'autres sommets (notamment l'Himalaya). Il y reviendra vingt ans après - grâce à son père- et retrouvera toute la force de l'amitié car Bruno, tel un roc, un omo servadzo, est resté sur la montagne. Ils vont reconstruire de leurs mains la barma, petit refuge qui servira de port d'attache aux deux amis et à Pietro qui, peu à peu , se réconciliera avec un père dont il comprend peu à peu l'attachement à la montagne.
Paolo Cognetti signe une ode magnifique à la montagne et un beau roman sur l'amitié. Mais ce ne serait pas lui rendre hommage que de simplifier ainsi son roman. Il s'agit aussi de creuser les rapports familiaux, et plus particulièrement, les rapports père-fils, de dessiner en filigrane des silhouettes paternelles qui ont du mal à s'épancher, à manifester leurs sentiments, d'où certains malentendus.
Finalement, on comprend "que l’apprentissage de la vie est une exploration qui évoque une longue randonnée. Parfois, on abandonne le sentier pour atteindre une crête, « juste pour le plaisir de découvrir ce qu’il y a de l’autre côté ».
Merci Isa pour le prêt ! 
@ lire ! 

dimanche 11 août 2019

Les passeurs de livres de Daraya

Au beau milieu des décombres d'une ville bombardée, martyrisée et meurtrie un îlot de résistance pacifique et littéraire subsiste malgré la faim, la peur et le manque de tout. Une quarantaine de jeunes gens, bien décidés à faire perdurer la réputation de leur ville natale a choisi de résister aux bombardements ignobles de Bachar Al-Assad et son régime autoritaire. De 2012 à 2016, la banlieue rebelle de Daraya a subi un siège inlassable de la part des troupes officielles, bien décidées à faire disparaître la population entière d'une ville. Bombardements, barils d'explosifs, attaques au gaz chimique, blocus radical empêchant tout ravitaillement, rien n'a été oublié mais le pilonnage systématique n'a pas entamé la détermination de ces jeunes qui ont décidé de construire une bibliothèque en récupérant, dans les décombres des maisons éventrées, tous les livres qu'ils trouvaient. Face à la violence aveugle la littérature, face à la violence les mots, face à la violence l'esprit. Tous leurs trésors exhumés de la poussière, ils les ont religieusement triés, inventoriés, rangés sur des étagères, et c'est dans une cave calfeutrée que les lecteurs peuvent venir se ressourcer au milieu de cet enfer. 
Une troupe d'amoureux des livres contre les troupes armées du régime : Ahmad, Shadi, Hussam, Abou Malek et Ustez sont des résistants héroïques. Pas forcément amateurs de livres avant la guerre, ils le sont devenus et c'est comme s'il y avait eu une urgence viscérale, un besoin profond d'opposer à la barbarie et à la domination politique et religieuse une autre voie, celle des mots, celle de l'esprit, celle de la raison. La lecture d'un ouvrage en appelle un autre, ils ont même recours à l'impression de certains textes, les téléchargent et d'aucuns les emportent parfois avec eux sur leur portable ou dans leur poche au front lorsqu'ils s'en vont défendre leur ville.
A nous Européens lovés dans notre confort, le rapport aux mots semble évident mais là-bas, dans les décombres de Daraya il est un acte de résistance absolue.
Cet ouvrage, né des échanges par skype et what's app entre Delphine Minoui avec ces insoumis, est un véritable coup de poing mais, surtout, une ode à la littérature et à son pouvoir, un rappel de la nécessité de lire, de réfléchir et de partager ses idées pour ne pas se laisser dicter ses décisions. 
En Syrie, il n'y a pas qu'un dictateur ignoble à Damas et Daech, il y a aussi des hommes qui nous rappellent avec un courage absolu que la liberté individuelle, la tolérance et l'exercice de la raison sont essentiels à l'homme.
Chapeau bas Mme Minoui et merci !

Quelques citations :
"Des heures durant, il évoque en détail ce projet de sauvetage du patrimoine culturel, né sur les cendres d'une cité insoumise. Puis il me parle des bombardements incessants. Des ventres qui se vident. Des soupes de feuilles pour conjurer la faim. Et de toutes ses lectures effrénées pour se nourrir l'esprit. Face aux bombes, la bibliothèque est leur forteresse dérobée. Les livres, leurs armes d'instruction massive."
"Avant l'inauguration restait une dernière tâche à remplir : numéroter minutieusement chaque recueil et y apposer le nom de son propriétaire sur la première page. (...) Notre but, c'est que chacun puisse récupérer ce qui lui appartient une fois la guerre terminée, insiste Ahmad.
A ses mots, j'ai posé mon crayon. Impressionnée par son civisme. Muette devant un tel sens du respect de l'autre.
Des autres. Nuit et jour, ces jeunes côtoient la mort. La plupart d'entre eux ont tout perdu : leur demeure, leurs amis, leurs parents."
Quelques heures après les attentats du Bataclan, Delphine Minoui reçoit un message : 
"Ahmad vit sous une pluie de bombes.Il a perdu tant d'amis, n'a pas vu sa famille depuis quatre ans. A Daraya, son quotidien est une montagne d'urgences. Il a pourtant pris le temps de rédiger ce message, de partager sa compassion.
Un terroriste ne s'excuse pas.
Un terroriste ne pleure pas les morts.
Un terroriste ne cite pas - Amélie Poulain- et Victor Hugo"

jeudi 8 août 2019

Un assassin blanc comme neige

Un très beau recueil de textes qui se savourent un à un au gré des journées.
Une langue pure, dense et forte. Bobin dit le monde, sa beauté, sa fragilité. Il sait capturer les moments fugitifs et leur donner toute leur profondeur.
C'est beau.

mardi 6 août 2019

Une réécriture des lettres persanes ?

C'est l'été, certes, mais quand on est prof on reste à l'affût de lectures pour ses élèves. A quelques semaines de la mise en oeuvre des nouveaux programmes de français, je me plonge dans le roman de Chahdortt Djavann, Comment peut-on être français ?
J'y fais la connaissance de Roxane, jeune iranienne de 22 ans qui débarque à Paris, bien décidée à s'y installer. Volontaire, courageuse et obstinée, Roxane s'impose dès les premières pages. Elle nous raconte son parcours du combattant pour apprendre les premiers rudiments du français mais aussi le plaisir de fouler les allées du Luxembourg, de manger en terrasse un jambon-beurre accompagné d'un verre de vin rouge, d'enfourcher un vélo pour découvrir les rues de Paris. Le temps de la découverte est suivi de celui de la solitude, car il n'est pas aisé d'apprendre la langue de Molière ni de se faire des amis dans la capitale, ville lumières. Elle enchaîne les petits boulots, devient babby-sitter chez Julie, jeune journaliste, fait la connaissance d'un beau voisin coréen. Pour faire face au maelström d'émotions qui s'emparent d'elle et pour briser sa solitude, Roxane décide d'écrire à Montesquieu pour lui faire part de ses observations. Comme ses illustres ancêtres elle va confier à ses missives (qui lui seront, bien sûr, renvoyées !) ses étonnements, ses questions, mais aussi ses réflexions sur la différence de régime entre l'Iran et la France.  Et le passé ressurgit quand Roxane aurait bien le voulu le mettre à distance. Roxane aborde la question de la place des femmes dans la société, le rôle des Mollahs, la place des enfants dans le monde occidental, la liberté en Iran, la religion, le sport, la vie en France, la sécurité, la science, la solitude. bel aller-retour entre la France et l'Iran et qui permet d'interroger nos deux sociétés. 
Un bon roman même si je le trouve parfois déséquilibré : les 18 lettres n'arrivent qu'à une bonne moitié du roman - c'est normal me direz-vous - et la fin nous laisse sur notre faim avec une Roxane qui semble encore bien démunie et peine à concilier passé présent et futur. Peut-être est-ce parce que j'aurais voulu lire une petite note d'espoir plus nette à la fin ?

Deux citations :  « Sous le regard indifférent des gouvernements occidentaux, les autorités oppriment, condamnent, torturent, exécutent en toute impunité. Il n'est pas de l'honneur et de la dignité de l'Occident de s'allier avec des tyrans. Et pourtant il le fait, l'Occident, non seulement avec ceux de l'Iran, mais avec tous les tyrans. »
 « Que peut attendre ce peuple d'une religion qui l'humilie, le torture et ne lui laisse aucun esprit de vie ? »