"Il faut cultiver notre jardin"

jeudi 22 octobre 2020

BD d'automne

 Peau d'homme de Hubert et Zanzim est une belle histoire qui interroge la question du genre. Reprenant les codes du conte, les auteurs en font un petit récit libertin à la manière de Crébillon.

   Renaissance, mœurs corsetées et mariages arrangés : tout ce bel équilibre va être bouleversé dans la famille de Bianca. Issue d'une bonne famille italienne, elle est en âge de se marier. On lui a trouvé un fiancé : très au goût de ses parents car issu d'une famille de riches marchands, plutôt joli garçon, Giovanni a tout pour plaire.  Mais c'est sans compter sur le caractère affirmé de la jeune promise qui n'a guère envie de s'en laisser compter. Elle aimerait, comme la Silvia du Jeu de l'amour et du hasard, connaître son futur époux avant que le mariage ne soit célébré : en effet, pourquoi épouser un homme dont on ignore tout ? Question on ne peut plus moderne pour l'époque. Grâce à sa tante, elle va trouver le moyen de satisfaire sa curiosité et même plus.  Les femmes de sa famille possède un secret détenu qu'elles se lèguent depuis des générations : une « peau d'homme » ! En la revêtant, Bianca devient Lorenzo et bénéficie de tous les attributs d'un jeune homme à la beauté stupéfiante. Une fois revêtue de cette peau, le monde des hommes s'offre à elle. Ainsi, elle peut apprendre à connaître son fiancé dans son milieu naturel. Mais Bianca  va plus loin et s'affranchit des limites imposées aux femmes : elle découvre l'amour et la sexualité. 

Un récit rondement mené, dynamique et drôle qui, outre le fait qu'il rappelle la morale de la Renaissance interroge aussi notre siècle. Une vision très féministe qui aborde des questions essentielles : pourquoi les femmes devraient-elles avoir une sexualité différente de celle des hommes ? Pourquoi leur plaisir et leur liberté devraient-ils faire l'objet de mépris et de coercition ? Comment enfin la morale peut-elle être l'instrument d'une domination à la fois sévère et inconsciente ? A ces questions s'ajoutent celle de la tolérance, du fanatisme religieux (incarné par le frère de Bianca à qui il adresse cette réplique cinglante «Eh, moinillon ! Qui crois-tu tromper avec tes airs dévots ? Tu n'es qu'un hypocrite ! Avant nous étions fiers de notre ville ! Maintenant nous détruisons ses statues, ses peintures, tout ce qui en faisait la beauté ! Tout ça à cause d'un moinillon obsédé par la chair, rendu à moitié fou par les frustrations ! Va baiser, laisse nous vivre ! »). 

Une grande leçon de tolérance et une belle invitation à penser par soi-même.


Une autre histoire d'amour, racontée en remontant le temps ! 

"Tu es trempé! je suis désolée. Tu m'attends depuis longtemps?... Depuis 37 ans". C'est ainsi que commence cet album. Zéno attend Ana depuis 37 ans. C'est à elle qu'il téléphone depuis le pont des navires qui l'ont fait traverser mers et océans, c'est à elle qu'il écrit des lettres qu'il place dans des bouteilles lancées à la mer ou glissées dans des enveloppes sans nom d'expéditeur. Ce libraire proche de la retraite qui a mis quarante à temps à terminer sa thèse sur la manière dont on peut remonter le temps (tiens, tiens...) est un esprit libre, un voyageur, un homme mystérieux qui semble incapable de se poser. Face à lui, il y a Ana, sexagénaire pimpante dont le cœur commence peut-être à fatiguer mais qui s'est donnée corps et âme à la mairie qu'elle vient de quitter. Femme de Giuseppe, mari tendre, compagnon patient et père de leur fille, Ana est une battante qui ne se voit pas vivre ailleurs que dans sa ville.

Et ces deux êtres s'aiment d'une passion platonique et éternelle. Nous sommes conviés à remonter aux sources de leur amour impossible et intarissable. Chapitre après chapitre (de 20 à 1), on découvre à rebours les divers événements qui ont jalonné leur romance. Nous remontons ainsi la chaîne des malentendus, des errements, des flottements qui expliquent leurs vies séparées mais tellement proches à la fois.

- Donc, Lune et Terre vivre toujours séparées ?
- En réalité, c'est leur manière d'être ensemble. Si elles se heurtaient, elles causeraient beaucoup de dégâts. 

Une trouvaille géniale que cette narration à rebours, portée par une ligne claire et un joli travail de coloriste. Des dessins plutôt sobres mais précis, des couleurs douces et chaudes.


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