"Il faut cultiver notre jardin"

mercredi 30 septembre 2020

Lectures de septembre

 Parce qu'en septembre on a encore le temps, parce qu'en septembre on profite encore du soleil sur la terrasse, par ce que le rythme est plus lent, on prend encore le temps de lire pas mal.

En vrac : 

Entre le chaperon rouge et le loup c'est fini de K.Mazetti. Linnea, dix-sept ans, ne s'est pas vraiment remise du suicide de Pia, sa meilleure amie. Elle a bien du mal à trouver sa place. Elle cherche le sens de la vie, aussi. Un jour, elle décide de prendre le large grâce à sa grand-mère qui lui remet une coquette somme avant de partir elle-même en voyage. Linnea décide de partir en voyage. A la gare de Stockholm elle croise la route de Mark.

De cet auteur on a lu notamment Le mec de la tombe d'à côté. Cet opus est donc l'occasion de revenir à une auteur qu'on apprécie, mais c'est décevant. L'écriture - qui se veut proche de la manière de parler des ados- est parfois trop relâchée, l'intrigue patine par endroits, bref, ce n'est pas le meilleur ouvrage de K.Mazetti. 


Laurent Gaudé Dans la nuit Mozambique

 

Quel plaisir de retrouver le style ciselé et enchanteur de L.Gaudé à travers ces quatre nouvelles écrites de 2000 à 2007. Comme d'habitude, il nous embarque dans des contrées lointaines, nous fait partager la vie d'hommes et de femmes dont les vies font écho aux nôtres ou à nos interrogations. L'intérêt également c'est que ces courts récits entrent en résonance avec l’œuvre romanesque de l'auteur qui tisse des liens avec certains de ces grands romans (Cris, La mort du roi Tsongor, Sous le soleil des Scorta ou Eldorado). Cela pourrait paraître redondant, c'est, au contraire, très plaisant : un recueil qui se glisse dans les interstices d'autres textes.


Le chanteur perdu de Didier Tronchet

Le burn-out de Jean lui fait prendre conscience qu’il est peut être passé à côté de sa vie. Ce qui va l'aider à reprendre pied, c'est sa recherche - qui peut sembler dérisoire - d'un chanteur dont il était fan dans sa jeunesse. Sur les traces de Rémy-Bé, dont il admire la désinvolture et la liberté de ton des chansons, Jean en fait se cherche. Un seul indice pour remonter la piste : une vieille cassette audio, les morceaux qu'il connaît par cœur et la pochette du disque avec le viaduc de Morlaix en arrière-fond. Belle gageure ! A force d'insister, de replonger dans le fil des souvenirs et des textes, Jean finira par retrouver l'artiste qu'il a parfois l'impression d'avoir inventé. Sur une île lointaine, il va s'approcher de celui qu'il pensait connaître pour le découvrir et se découvrir lui-même. Une belle histoire, attendrissante et émouvante, bien scénarisée et mise en couleurs.

vendredi 25 septembre 2020

Chavirer

 Lola Lafon, Chavirer

Chavirer de plaisir, chavirer du bonheur intense de danser, mais aussi chavirer de honte et de douleur.

 Sous les feux de la rampe, strass, plumes et paillettes subliment les danseuses. En coulisse, des êtres exsangues, douloureux et blessés. A la recherche de la lumière mais désireuse de rester dans l'ombre, Cléo se donne toute entière à la danse.


Dans la vie de Cléo, en effet, la danse compte plus que tout. Grâce à elle, elle entend bien s'échapper d'une vie qu'elle juge trop étriquée dans la banlieue Est de Paris, à Fontenay sous bois. Aussi, quand la fondation Galatée lui fait miroiter une bourse, véritable sésame pour la brillante carrière dont elle rêve, loin des murs de la MJC, elle y croit dur comme fer.

Son pygmalion, Cathy, la rassure, la couvre d'attentions et de somptueux cadeaux, lui fait découvrir les beaux magasins et les lieux chics de Paris, sans que les parents ne trouvent à redire …..... car Cathy rassure. Cléo, elle, se laisse guider, relooker, façonner, elle apprécie qu'on prenne soin d'elle, elle apprécie cette Cathy qui incarne l'élégance absolue. Grâce à cette dernière, pense-t-elle, elle franchit les étapes de la sélection sans heurt, la bourse se rapproche. Jusqu'au jour où un membre du jury lui demande quelque chose qu'elle ne peut lui donner que contrainte.

Et le piège qui s'est déjà refermé sur elle se resserre : de proie elle devient recruteuse pour la fondation Galatée. Cette promotion est, en réalité, une descente aux enfers dont elle n'a pas conscience. A 13 ans, on fait confiance aux adultes.

Trente cinq ans après les faits, son passé rattrape Lola devenue danseuse sur les plateaux de Drucker et dans une revue parisienne. Et tout à coup son passé la rattrape. Un appel à témoins est lancé sur cette fondation Galatée dans le cadre d'une enquête policière et d'un projet documentaire. On recueille des témoignages.

Ainsi, par le biais du regard de personnages qui ont croisé Cléo, Lola Lafon donne de l'épaisseur et de la complexité à son personnage qui ne se réduit pas seulement à un corps dansant, à un corps souffrant. Betty, Yonasz et son père Serge, Lara sa colocataire et bientôt son amante, Claude l'habilleuse attentionnée... tous racontent Cléo et donnent chacun à voir un fragment de celle qui ne se donne jamais à voir entière.

Ce qui est au cœur du roman de Lola Lafon ce n'est pas tant la question de la pédophilie, c'est aussi la question du consentement et celles du pardon et de l'oubli. Comment se (re)construire quand on a trahi ? Comment faire confiance quand on a été abusé ? Peut-on pardonner et se pardonner ? Est-il préférable d'oublier (et de s'oublier) ? Faut-il continuer d'oublier ou plutôt pardonner ?

Avec, en toile de fond, les années 80-90 et sa bande-son, le dernier opus de Lola Lafon rend aussi hommage à la culture populaire, aux figurants des célébrités dans la lumière et aborde la question des différences de classes.

  Le dispositif narratif, tel un miroir éclaté, permet de saisir, grâce aux onze fragments de vie, sa complexité, la honte et la culpabilité profondes qui ne la quittent pas depuis ses 13 ans. Précis, vif et parfois haletant pour dire le piège de la prédation mais aussi la honte et le tourment, le style tendu et nerveux est en accord avec la question du consentement et de la pédophilie.

dimanche 20 septembre 2020

Rentrée littéraire 2019 : session de rattrapage

 En vrac, les titres de la rentrée littéraire 2019 que j'ai pu lire cet été et que j'ai appréciés : 

Une bête au paradis de Cécile Coulon (juin)

Puissant et fort, cet ouvrage nous plonge dans un huis clos étouffant. La ferme du paradis abrite des femmes rivées à leur terre. Blanche y a grandi entourée de vaches et de cochons. Impossible pour elle de se résoudre à suivre Alexandre, son grand amour, en ville ! Une histoire d'amour puissant et de vengeance, un personnage porté par une soif inextinguible de liberté. Un livre qui ne laisse pas indifférent.

 

 

 

Les guerres intérieures de V.Tong Coung (14 juillet)

Voici le pitch : Comédien de seconde zone, Pax Monnier a renoncé à ses rêves de gloire, quand son agent l’appelle : un grand réalisateur américain souhaite le rencontrer sans délai. Passé chez lui pour enfiler une veste, des bruits de lutte venus de l’étage supérieur attirent son attention – mais il se persuade que ce n’est rien d’important. À son retour, il apprend qu’un étudiant, Alexis Winckler, a été sauvagement agressé. Un an après, il fait la connaissance de Emi Shimizu en ignorant totalement qu'elle est la mère d'Alexis. Alors que rien ne devait réunir ce comédien quelconque à la vie un peu ratée et cette femme mystérieuse et élégante. C'est là tout l'art de l'auteur de tirer les ficelles et de les réunir. La tragédie peut s'enclencher :  concomitance, causalité, coïncidence, mais aussi non dits et lâchetés ordinaires. La romancière nous invite sobrement et subtilement à nous interroger sur notre rapport à la vérité et à culpabilité. Seule, finalement, « la vérité vous rendra libres » nous fait-elle comprendre.

Le cœur de l'Angleterre de J.Coe (5 août)

 

Un grand cru !  Benjamin, Lois, Colin, Sophie, Doug, Sohan.... ils sont tous anglais, terriblement anglais. Ils se rencontrent, se croisent et nous racontent l’Angleterre d'aujourd'hui, celle qui a opté pour le Brexit. 

Benjamin pensait couler une douce et paisible retraite dans un moulin confortablement aménagé dans la campagne anglaise. C'est sans compter sur le décès de sa mère, sur la nécessité de s'occuper de son père, sur les amours tumultueuses de sa nièce....... Jonathan Coe racontent des instants de vie de personnages attachants tout en revenant sur les événements marquants récents : émeutes de Londres, Jeux Olympiques, référendum, naissance du mouvement pro-brexit. C'est caustique et empathique, c'est drôle et sérieux à la fois. C'est à lire absolument ! 

Les choses humaines de K.Tuil (24 août)

Le couple Farel est un couple emblématique dans le milieu du journalisme et de la littérature. Carriéristes et égoïstes, ils ont toujours réussi à dissimuler les failles et les difficultés de leur couple. Jusqu'au jour une déflagration intérieure va bouleverser un équilibre devenu très précaire. Claire tombe amoureuse d'un enseignant, une plainte pour viol est déposée contre leur fils Alexandre... Tout s'emballe et se complique. Un roman qui brasse pas mal de thématiques : les violences faites aux femmes, l'hypocrisie sociale, l'ambition, le monde politique et celui du journalisme... un portrait au vitriol de notre société. Un roman réussi.

Ici n'est plus ici de Tommy Orange (12 août) 

Un roman choral qui évoque la question de l'identité indienne. Et non, les indiens ne peuvent pas se réduire à quelques clichés. Qu'ils soient jeunes ou vieux, métis ou non, touts les personnages de cette fresque sont tourmentés par la notion d'identité. Indiens urbains (ils vivent à Oakland), ils sont confrontés au racisme, à l'alcoolisme, aux problèmes familiaux, à la drogue..... Difficile dans ces conditions de savoir qui l'on est vraiment et d'où l'on vient. Ils vont se retrouver dans un pow-wow, véritable ressource aux sources et démonstrations d'une culture mise à mal. Une écriture parfois déroutante, mais un récit intéressant.