"Il faut cultiver notre jardin"

vendredi 25 septembre 2020

Chavirer

 Lola Lafon, Chavirer

Chavirer de plaisir, chavirer du bonheur intense de danser, mais aussi chavirer de honte et de douleur.

 Sous les feux de la rampe, strass, plumes et paillettes subliment les danseuses. En coulisse, des êtres exsangues, douloureux et blessés. A la recherche de la lumière mais désireuse de rester dans l'ombre, Cléo se donne toute entière à la danse.


Dans la vie de Cléo, en effet, la danse compte plus que tout. Grâce à elle, elle entend bien s'échapper d'une vie qu'elle juge trop étriquée dans la banlieue Est de Paris, à Fontenay sous bois. Aussi, quand la fondation Galatée lui fait miroiter une bourse, véritable sésame pour la brillante carrière dont elle rêve, loin des murs de la MJC, elle y croit dur comme fer.

Son pygmalion, Cathy, la rassure, la couvre d'attentions et de somptueux cadeaux, lui fait découvrir les beaux magasins et les lieux chics de Paris, sans que les parents ne trouvent à redire …..... car Cathy rassure. Cléo, elle, se laisse guider, relooker, façonner, elle apprécie qu'on prenne soin d'elle, elle apprécie cette Cathy qui incarne l'élégance absolue. Grâce à cette dernière, pense-t-elle, elle franchit les étapes de la sélection sans heurt, la bourse se rapproche. Jusqu'au jour où un membre du jury lui demande quelque chose qu'elle ne peut lui donner que contrainte.

Et le piège qui s'est déjà refermé sur elle se resserre : de proie elle devient recruteuse pour la fondation Galatée. Cette promotion est, en réalité, une descente aux enfers dont elle n'a pas conscience. A 13 ans, on fait confiance aux adultes.

Trente cinq ans après les faits, son passé rattrape Lola devenue danseuse sur les plateaux de Drucker et dans une revue parisienne. Et tout à coup son passé la rattrape. Un appel à témoins est lancé sur cette fondation Galatée dans le cadre d'une enquête policière et d'un projet documentaire. On recueille des témoignages.

Ainsi, par le biais du regard de personnages qui ont croisé Cléo, Lola Lafon donne de l'épaisseur et de la complexité à son personnage qui ne se réduit pas seulement à un corps dansant, à un corps souffrant. Betty, Yonasz et son père Serge, Lara sa colocataire et bientôt son amante, Claude l'habilleuse attentionnée... tous racontent Cléo et donnent chacun à voir un fragment de celle qui ne se donne jamais à voir entière.

Ce qui est au cœur du roman de Lola Lafon ce n'est pas tant la question de la pédophilie, c'est aussi la question du consentement et celles du pardon et de l'oubli. Comment se (re)construire quand on a trahi ? Comment faire confiance quand on a été abusé ? Peut-on pardonner et se pardonner ? Est-il préférable d'oublier (et de s'oublier) ? Faut-il continuer d'oublier ou plutôt pardonner ?

Avec, en toile de fond, les années 80-90 et sa bande-son, le dernier opus de Lola Lafon rend aussi hommage à la culture populaire, aux figurants des célébrités dans la lumière et aborde la question des différences de classes.

  Le dispositif narratif, tel un miroir éclaté, permet de saisir, grâce aux onze fragments de vie, sa complexité, la honte et la culpabilité profondes qui ne la quittent pas depuis ses 13 ans. Précis, vif et parfois haletant pour dire le piège de la prédation mais aussi la honte et le tourment, le style tendu et nerveux est en accord avec la question du consentement et de la pédophilie.

Aucun commentaire: