"Il faut cultiver notre jardin"

mardi 17 novembre 2020

Les sorcières de Salem

 Quand ta contribution à un manuel de latin te fait découvrir un texte intéressant..... ou comment découvrir enfin un grand texte littéraire.

Les sorcières de Salem d'Arthur Miller nous plonge dans le célèbre procès qui ébranla une communauté de la Nouvelle-Angleterre où de jeunes femmes prétendaient être possédées par le diable. Pièce magistrale qui nous plonge dans le puritanisme le plus dur et le fanatisme religieux. Véritable hystérie collective, cet épisode illustre comment la frontière entre folie et raison est ténue, de même qu'entre justice et fanatisme. 

Cette pièce écrite par l'auteur aux temps du sénateur Joseph Mac Carty à l'origine de la liste noire des "dix de Hollywood" n'a pas pris une ride et trouve écho aux errements de notre temps.

lundi 9 novembre 2020

Un crime sans importance

 D'elle je n'avais jamais rien lu et a priori le sujet me faisait un peu peur. C'est sur les conseils de la documentaliste que je me suis plongée dans le dernier opus d'Irène Frain. 

Pour raconter cette histoire, elle a plongé sa plume dans le sang de sa sœur et dans les larmes de celle qui s'est sentie dépossédée, éloignée du meurtre perpétré à l'encontre de celle qui avait beaucoup compté dans son enfance. C'est néanmoins avec beaucoup de pudeur que l'auteur raconte l'incompréhension, l'attente insupportable des résultats d'une enquête, l'incapacité de la justice à entrer dans le jeu...... Ce qui est intéressant c'est que cet ouvrage est construit sur le manque : manque de la morte, manque d'informations, manque d'empathie de la part de la famille, ..... manque et fantasmes. Car c'est à coup d'hypothèses sur ces bribes, sur ce presque rien qu'Irène Frain tente de reconstituer le fil des événements qui ont conduit à la mort de sa soeur de 79 ans après sept semaines de coma dû à une sauvage agression. Denise vivait seule dans une maison calée dans une impasse calme d'une petite ville de banlieue. Ville sans histoire dont la géographie avait bien changé avec l'émergence de ces immondes zones commerciales en tôle qui ont peu peu gangrené la campagne et fait disparaître les paysages verdoyants et les fermes pourvoyeuses de lait et d'œufs frais. Sa vie était calme : elle voyait ses proches, excellait dans les travaux d'aiguille, se rendait à l'Eglise évangélique et était en bonne santé. Elle s'est retrouvée au mauvais endroits (dans sa cuisine au milieu de ses sachets de lavande) au mauvais moment. En temps normal, cest impossible d'accepter la mort d'un proche alors quand il y a tant de zones d'ombre et qu'on a le sentiment que le meurtre d'une vieille dame n'est pas une priorité pour les services de police et de la justice, c'est insupportable.

Irène Frain met donc son écriture et son style puissant et simple, ferme et sobre au service d'une recherche de la vérité (la sienne) et d'un hommage à la défunte. Elle revient sur son histoire familiale, ses origines modestes, sa naissance non désirée, le rejet maternel, l'importance des livres. Sans fard, elle raconte les non-dits, les silences et les secrets qui ont lentement infecté puis empoisonné la fratrie et au-delà toute la tribu. C'est un récit poignant.

mardi 3 novembre 2020

Yoga

 De Carrère, cela faisait longtemps que je n'avais rien lu : dernier essai en date, Limonov, que j'avais trouvé indigeste. Mais là, le titre, le sujet m'ont donné envie de renouer avec cet auteur. Et je n'ai pas été déçue. 

Ce dernier opus brasse des sujets a priori bien différents voire antagonistes : le yoga, les attentats et la dépression. Mais, en réalité, ces sujets sont intimement liés puisqu'ils constituent l'auteur et on le comprend à la fin de l'ouvrage.

Sa pratique intense du yoga depuis des dizaines d'années permet à Carrère d'évoquer avec beaucoup d'humour cette discipline et ses dérives -notamment le stage effectué dans le Morvan qui a des allures de stage commando ou de stage de survie - mais aussi tout ce qu'elle apporte. Son savoir est grand en la matière et c'est avec un certain plaisir que j'y ai retrouvé des éléments de définition glanés au travers de ma pratique personnelle et des diverses formations suivies. L'auteur se met en scène sans condescendance, il gratte et appuie là où ça fait mal, ne se ménage pas. Certes c'est souvent assez narcissique mais l'on sent qu'il en va de l'équilibre de celui qui se tient sur un fil : sa plume l'aide à ordonner, à agencer des fragments, des bribes, des éclats de vie.

Car des éclats, il y en a. A commencer par la mort de son ami Bernard Maris (qui lui vaudra une rocambolesque exfiltration du stage dans le Morvan) et les attentats de Charlie mais aussi l'internement de Carrère, les traitements chocs et le diagnostic implacable : dépression, bipolarité. Sans oublier son séjour à Lesbos auprès des réfugiés et des fracassés par le miroir aux alouettes que constitue l'Europe. Vous me direz, c'est le chaos son bouquin ! et oui c'est un chaos, un chaos intérieur et intime que Carrère cherche à ordonner (ou pas) en le couchant sur le papier. Mais c'est bien plus que ça, c'est aussi un miroir qu'il nous tend. Il nous propose, l'air de rien, de réfléchir à nos petites vies (d'autres que la sienne), à nos compromissions, à notre égoïsme, à notre agitation vaine et mortifère. 

Ce récit qui fonctionne comme une suite de notes, de fragments qui décrivent une vie (jusque dans sa plus crue intimité) constitue aussi et surtout un hommage vibrant à son éditeur de cœur Paul Otchakovsky-Laurens. Si on est parfois agacé par Carrère, critique quant à l'apparente facilité d'écriture et de ton, il faut accepter de se laisser emporter jusqu'au bout par ce récit qui interroge de manière intelligente les codes de la narration et du roman.

https://aleslire.wordpress.com/2020/11/11/yoga-emmanuel-carrere/#more-6318