"Il faut cultiver notre jardin"

jeudi 10 janvier 2019

Magistral !

L'équilibre du monde de Rohinton Mistry est une véritable épopée. 
Inde 1970-1980, quatre personnages qui n'étaient pas forcément nés pour se rencontrer mais que le destin a rapproché. Ce roman est l'histoire de personnes qui font tout pour conserver un minimum de dignité dans un pays dont les rouages semblent plutôt avoir pour fonction de broyer les plus faibles. 
Dina Dalal, jeune fille vive et intelligente, se destine à des études de médecine. Mais la mort de son père et le rôle que s'arroge son frère sur sa famille la prive de ses ambitions. Lui, il souhaite la voir plutôt devenir l'épouse d'un de ses amis aussi suffisants que lui ou esclave domestique. Charmant tuteur ! Son caractère et son énergie vont néanmoins permettre à Dina de conserver son indépendance, à coup de privations et de travail. Le jeune Maneck se voit, lui, contraint de quitter ses chères montagnes pour entreprendre des études supérieures. Loin du cadre de son enfance et de ses parents, il peine à trouver dans Bombay sa place. Les deux tailleurs, Ishvar et Omprakash, peut-être les personnages les plus attachants, sont prêts à tout pour enrayer la roue du destin et gagner un peu mieux leur vie. Issus de la caste des intouchables, ils sont devenus tailleurs, suite à la décision du père d'Ishvar,  pour échapper à une vie sordide remplie d'humiliations et d'injustices. Leur séjour à Bombay sera-t-il vraiment à la hauteur de leurs espérances ?
Ces quatre personnages hauts en couleurs vont être réunis par les hasards du destin (et les choix du romancier) et, avec eux, nous plongeons dans la vie mouvementée et désespérante de millions d'indiens qui vivent dans une misère extrême. L'auteur brosse le tableau d'une société absurde où règnent en maître les plus forts, où la corruption seule permet d'exercer une autorité et où les plus faibles sont contraints de baisser la tête. Autour des protagonistes principaux gravite toute une faune de la pire espèce : le récolteur des loyers, les fonctionnaires de justice et de l'administration sociale, le maître des mendiants et ses esclaves, un coiffeur quasi fou qui fait commerce des cheveux, un montreur de singes détruit mais aussi le premier ministre - Indira Gandhi- totalement déconnectée de son peuple, ridicule et autoritaire qui n'a de public à ses meetings que parce qu'on l'on y déverse la foule des bidonvilles à qui l'on a fait miroiter un peu de thé et de nourriture. Tout cela sur fond de plans d'amélioration de la ville avec la destruction inopinée de bidonvilles qui fragilisent davantage encore les plus pauvres, d'élections truquées, de travaux forcés inhumains (on se croirait en Chine ou au Goulag) et, le pire, la fameuse campagne de stérilisation pour empêcher l'augmentation de la population !
Dina, jeune veuve désireuse d'échapper à la férule de son frère, décide de prendre son destin en mains et embauche deux tailleurs qu'elle va faire travailler dans son appartement. Pour boucler ses fins de mois, elle décide également de prendre un "hôte payant" en la personne de Maneck qui ne supporte plus les brimades et les conditions déplorables de la cité universitaire. Et tout ce petit monde va peu à peu prendre ses marques et apprendre à cohabiter voire à vivre ensemble. Les conditions de vie des tailleurs sont atroces : ils s'installent dans un bidonville et sont à la merci de décisions arbitraires prises par des employés véreux et corrompus. La description de leur cadre de vie rappelle à tout un chacun que les besoins élémentaires des hommes ne sont pas toujours assouvis (accès à l'eau, aux sanitaires, à la nourriture). Dina est, elle, bien décidée à imposer son autorité, tant sur le jeune étudiant dont elle souhaite guider les études (elle sait bien ce que l'on devient lorsqu'on ne va pas au bout) que sur les tailleurs avec lesquels elle se refuse à la moindre familiarité. Mais peu à peu l'appartement reprend vie et des liens se forment entre les personnages qui vont même recréer une sorte de famille. 
Ce livre offre au lecteur une immersion dans une société profondément inégalitaire, injuste et corrompue où pour bon nombre de miséreux le quotidien n'est qu'une question de survie. Un quotidien parfois sordide : la faim se fait souvent sentir, la saleté, les vers, les cafards, la distribution d'eau intermittente, autant de détails crus d'une réalité malheureusement tangible. Mais pas de misérabilisme dans le récit; l'auteur confère à ses personnages une grande dignité qui les empêche de désespérer. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : conserver sa dignité, se relever face aux événements les plus violents. C'est une société qui marche sur la tête, où certains pour leur profit personnel sont prêts à oublier la valeur de la vie humaine qui n'est qu'une marchandise.
Un récit dur et poignant mais dans lequel pointent de beaux moments de fraternité et de partage. A lire absolument !

samedi 5 janvier 2019

Les limons vides

Le livre de Dina de Herbjorg Wassmo est une trilogie dont je viens de découvrir le premier tome.
Ce roman nous embarque dans la Norvège du  XIXè, au pays des fjords et de la nature sauvage, sur les pentes des montagnes enneigées. Et c'est par une tornade folle que nous nous laissons emporter. La faute non seulement au climat âpre mais aussi au personnage principal, véritable ouragan, Dina la sauvageonne dont personne ne peut canaliser l'énergie brute. Cette femme indomptable, qui n'écoute que ses instincts les plus primaires, est celle par qui tout arrive.
Responsable de la mort de sa mère malgré elle, elle a redonné vie à Jacob, jeune veuf et commerçant prospère qui se laissait aller; elle souffle aussi le froid et le chaud sur le domaine dont elle devrait être la maitresse posée et délicate, sage et organisée. Elle s'échappe d'une vie à laquelle elle n'adhère pas en montant dans les arbres, en chevauchant à cru les paysages du cercle polaire, en se baignant en plaine nuit...... Parfois, comme par miracle, elle accepte de jouer du violoncelle dont elle a appris les rudiments grâce à un professeur particulier qui avait presque réussi à l'apprivoiser. Surgissent alors des moments de grâce.
Dina est une pépite non taillée, une pierre brute que personne ne réussira jamais à polir. Sans règle et sans limite, elle est la vie à l'état pur et, malgré ses bizarreries, on se prend à l'aimer.
Un livre qui nous emporte loin des sentiers battus.

vendredi 4 janvier 2019

L'héritage d'Esther

Un bien joli petit roman du Hongrois Sandor Marai. Merci Nathalie !

Esther vit paisiblement, avec Nounou, dans une petite maison entourée d'un jardin fleuri et qui satisfait ses besoins. La vie s'écoule tranquillement, sans grande surprise voire avec monotonie - comme dans une parenthèse où l'on retient son souffle. Et c'est bien ça : l'arrivée de Lajos, éternel séducteur et escroc, vient bousculer l'équilibre précaire que les deux femmes vieillissantes ont construit pour ne pas se laisser envahir par les regrets du passé. On respire un grand coup et l'on plonge dans les abîmes de l'âme humaine.
Et ça tangue, et ça frémit et ça frissonne ! Dernier acte de la dépossession entamée par cet horrible bonhomme : déposséder Esther de sa maison, de son dernier bien. Comme dans une tragédie, on sait dès le début que cela se terminera mal pour notre sage Esther. Trop sage ? trop bête ? trop amoureuse peut-être.
Ce court roman nous dépeint donc la confrontation entre deux êtres, deux âmes si différentes mais si intimement liées. Dans le huis-clos de la petite bicoque, s'affrontent deux êtres qui ne jouent pas à égalité. Esther c'est l'éternelle perdante, celle à qui Lajos a tout pris, celle qui a été blessée dans son amour-propre lorsqu'il a épousé sa sœur, celle qu'il n'a jamais respectée. Lajos c'est le bellâtre, sans dignité, l'éternel menteur et hâbleur, l'égoïste suprême. Mais comment, dès lors, comprendre qu'Esther accepte cette ultime insulte ? C'est ce que Sandor Marai examine, sondant le fonds des âmes et des coeurs. Et même si l'on a envie qu'Esther s'oppose à sa famille qui n'en est pas une, on finit par comprendre son abdication totale. C'est parce qu'ils se sont aimés et que "la loi de ce monde veut que soit achevé ce qui a été commencé".
Poids du passé, cruauté, désillusion, trahison, autant de thèmes peu amènes qui sont mis en scène par l'auteur avec une intensité et un talent indéniables. 

lundi 24 décembre 2018

L'histoire en BD

Deux lectures intéressantes piochées dans l'excellente série L'histoire dessinée de la France aux éditions La découverte.
Le principe : un historien et un dessinateur s'emparent d'une période historique et la mettent en bulles. 
Premier tome : la balade nationale (Davodeau et Veynare). 
Un titre jubilatoire où Jeanne d'Arc, Marie Curie, Molière, l’historien Jules Michelet et le général républicain Alexandre Dumas - excusez du peu !- s'embarquent dans une folle équipée sur les routes de France. Ils dérobent sur l’île d’Yeu le cercueil du maréchal Pétain, embarquant son occupant dans leur parcours à travers la France. Chemin faisant, à bord de leur camion, ils croisent de nombreux habitants, un réfugié politique, le Soldat inconnu et, peut-être, Vercingétorix. C'est baroque et surréaliste mais c'est très agréable à lire. Et surtout, le fond historique et la réflexion sur nos origines et sur notre rapport à l'histoire est d'une puissance saisissante.
Second tome (en fait, T 4) à mon actif : Pax romana (Blaise Pichon et Jeff Pourquié). 
 Retour sur les images d'épinal et l'utilisation par les historiens de celles-ci pour promouvoir une certaine identité nationale. On plonge dans la Gaule sous domination romaine et l'on comprend que la pax romana n'est pas de tout repos pour tout le monde (martyre des premiers chrétiens), que les luttes pour le pouvoir furent sévères et que l'assimilation ne fut pas si simple. Ou quand il s'agit de battre en brèche la célèbre formule galvaudée et ma utilisée par notre personnel politique "nos ancêtres les Gaulois".....
 

lundi 3 décembre 2018

Lus et adorés

En 2016, 2017 et 2018 .......
Le bal mécanique Y Grannec (au Bauhaus) ***
Léon et Louise d'Alex Capus (un amour pendant la première guerre mondiale) ***
Toute la lumière que nous ne pouvons voir A. Doer (une jeune aveugle à Saint-Malo sous l'occupation) ***
Le miniaturiste  J Burton **** (en Hollande une jeune femme peine à trouver sa place dans son nouveau foyer)
Constellation A.Bosc (la mort de Cerdan et de Ginette Neveu musicienne prodige dans un accident d'avion) ***
Un paquebot dans les arbres de V.Goby *** (année 1950, tuberculose, famille en détresse que Mathilde veut réunir)
Le gardien des choses perdues R.Hogan ***
L'intérêt de l'enfant de Ian Mc Evan **
Une famille heureuse E Crane **
La petite communiste qui ne souriait jamais Lola Lafon (1976 JO une gymnaste roumaine de 14 ans prodigieuse) ***
L'atelier des miracles V Tong Cuong **
La part des nuages Th Vinau **
Le dimanche des mères Swift ***
 La première chose que l'on regarde Delacourt (Scarlett Johansson débarque chez un type falot) **


samedi 22 septembre 2018

Les deux vies de Baudoin

Dans la série des BD découvertes à la bibliothèque, celle-ci est un vrai coup de coeur.
Baudouin est un jeune homme trentenaire qui mène une vie organisée mais bien solitaire et monotone. Il a un poste à responsabilités, un supérieur tyrannique et méprisant, traite des dossiers pénibles et doit se plier aux volontés de ses supérieurs. Sa vie personnelle est morne. Son frère, Luc, est, à l'inverse, un esprit libre, voyageur et séducteur à qui tout semble réussir.
Un jour, Baudouin se découvre une tumeur qui ne lui laisse que quelques mois à vivre. Passée la première réaction d'abattement (une telle annonce ne peut que laisser KO debout) et aidé par son frère, il décide de tout plaquer pour partir quelques semaines avec lui au Bénin. Là-bas, il va retrouver le plaisir de jouer de la guitare, de partager de bons moments avec des gens simples et vrais, rencontrer des filles.... bref, retrouver goût à la vie alors que celle-ci s'apprête à lui jouer le pire tour.  
 Un récit touchant sur les liens familiaux et sur le thème de la réalisation personnelle. Une BD jamais mièvre mais qui rappelle à tout un chacun que la vie est courte et qu'il faut savourer la force de chaque instant avec intensité.

dimanche 16 septembre 2018

Une série de BD

Sans le vouloir, une série de BD adaptées de textes littéraires. Un bon cru et des textes bien servis par des dessins et des scenarii bien menés.
Boitelle et le café des colonies de Didier Quella-Guyot (même auteur que le très bon Facteurs pour femmes) et S.Morice
                                 La Délicatesse     Cyril Bonin

  La belle image d'après M.Aymé de Cyril Bonnin
Un homme ordinaire voit son visage se métamorphoser : ses traits se sont affinés, il a rajeuni… mais il est un parfait inconnu aux yeux de ses proches. Que faire ? Un récit fantastique sur la quête identitaire et sur les choix de l’existence.
                                                                   




  Un automne à Pékin de B Vian