Pour son premier roman, Julie Otsuka a choisi d'aborder un sujet peu connu : les camps de concentration aménagés en catimini sur le sol américain pour y parquer les citoyens d'origine japonaise (des ennemis de l'intérieur !). Et c'est avec brio qu'elle s'empare de ce moment peu glorieux de l'histoire. S'il s'agit d'une fiction, on n'y retrouve pas moins des échos à la vie de ses grands-parents qui furent arrêtés et déportés au lendemain de Pearl Harbor jusqu'à l'été 45.
Quand l'empereur était un dieu comporte 5 parties comme 5 actes d'une tragédie à laquelle nous assistons impuissants.
En 1942, après avoir lu un ordre d'évacuation, une femme, sa fille et son
fils préparent leur départ. On ne connaît pas leur nom, on sait
seulement que chacun met dans sa valise ce qu'il est capable de porter
et qu'il n'y a pas de place pour le chien. Et l'on comprend, sans le lire, qu'ils partent pour un camp. Le père et mari a été embarqué de force - et en pantoufles- une nuit sous le prétexte fallacieux qu'il s'agit d'un traître.
On suit d'abord les préparatifs du départ (ranger la maison, mettre à l'abri certains objets, se débarrasser des animaux..) puis le périple en train, l'arrivée et la vie dans le camp dans le désert de l'Utah et, enfin, le retour à la maison et les retrouvailles avec un homme transformé par sa détention.
Le récit de la vie du camp n'est pas si pénible que cela car le point de vue des enfants permet une certaine distanciation et, même, oserais-je dire, une certaine poésie. C'est finalement le retour qui est le plus dur car il ne fait pas bon
avoir les yeux bridés quand les Japonais ont été déclarés ennemis du
peuple américain. Indésirables à l'école, dans la rue, dans le quartier - même aux yeux des anciens voisins- la mère et les enfants doivent réapprendre à vivre. Le père, lui, se cantonne à l'intérieur, trop abîmé pour affronter l'extérieur.
Un style nu, presque glacé, où ne perce aucun sentiment : on assiste, on partage le destin brisé de cette famille. On est aussi impuissant qu'eux face aux manifestations de racisme et de haine ordinaire.
Même si l'on ne pénètre guère dans leur intériorité, les personnages sont attachants, surtout celui du petit garçon qui conserve une certaine fraîcheur et, en même temps, une belle lucidité face aux événements.
Un beau livre !
"Chaque semaine, ils entendaient circuler de nouvelles rumeurs.
On allait mettre les hommes et les femmes dans des camps séparés. On
allait les stériliser. On allait leur retirer leur citoyenneté
américaine. On allait les emmener en haute mer pour les exécuter. On
allait les envoyer sur une île déserte et les y abandonner. On allait
tous les déporter au Japon. On ne les autoriserait jamais à quitter
l'Amérique. On allait les garder en otages tant que tous les prisonniers
de guerre américains jusqu'au dernier ne seraient pas rentrés sains et
saufs au pays. On allait les confier à la garde des Chinois dès que la
guerre serait terminée.
« On vous a amenés ici pour votre propre protection » leur avait-on assuré.
C'était dans l'intérêt de la sûreté nationale.
C'était une question de nécessité militaire.
C'était pour eux l'occasion de prouver leur loyalisme."