"Il faut cultiver notre jardin"

vendredi 3 août 2018

A la table des hommes

Le dernier opus de Sylvie Germain oscille entre fantastique, parabole et conte initiatique. Né porcelet et transformé en homme dans un déluge de feu et un chaos absolu, Babel - surnommé ainsi du fait de la confusion dans laquelle il semble être lorsque des femmes le trouvent - sort de sa condition animale pour avancer vers celle des hommes. S'élever vers la condition humaine ? pas forcément car ces derniers sont souvent associés à la violence, la haine, la bassesse. Recueilli par une daine (après avoir perdu sa mère biologique et une femme qui lui offrira son lait avant de mourir) qui lui laissera en héritage la nécessité de se méfier des hommes, Babel va peu à peu rentrer dans le monde humain. Il va lui falloir découvrir le langage articulé, les goûts et les saveurs, les vêtements, les rapports sociaux, les codes etc..... C'est dans un monde bouleversé par une guerre, abîmé par une violence aigüe qu'il fait ses premiers pas et se confronte à la différence, au mépris mais aussi à l'affection. Considéré comme simplet, il conserve de sa première enveloppe une attention toute particulière aux bruits, aux odeurs, aux signes de la nature. Devenu homme, il cultive une belle curiosité qui va lui permettre de comprendre certaines règles, d'échanger avec les autres mais aussi d'apprivoiser les mots et le savoir. Le vocabulaire, la syntaxe, les phrases roulent moins dans sa bouche et se font plus fluides, comme le désordre intérieure qui l'agitait se calme peu à peu. D'Abel, il devient Babel, celui qui peu à peu apprivoise les langages, les subtilités de la langue et des mots. Il va aussi mieux comprendre les hommes et se frayer un chemin où l'écoute, le partage, l'entraide trouvent leur place.
Une dernière horreur lui permet de découvrir qu'il « n'est plus avide de découvrir davantage le langage des hommes, il lui suffit de faire bon usage des mots qu'il a appris, de préserver autour de chacun d'eux un espace de silence où les faire résonner. Il n'est plus désireux de plaire à ses semblables, d'être accepté par eux, il lui suffit d'avoir été aimé par quelques-uns et d'avoir aimé ceux-là. Il a reçu sa part de fraternité, des destructeurs la lui ont arrachée, mais sous la douleur de ce rapt, il conserve la joie d'avoir un jour reçu cette part d'amour et d'amitié, et cette joie, personne ne pourra la lui retirer. »
Une écriture poétique et subtile, des phrases ciselées mais légères, Sylvie Germain maîtrise parfaitement sa narration et nous emporte dans une histoire étonnante et puissante. 


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