"Il faut cultiver notre jardin"

samedi 28 décembre 2019

La police des fleurs, des arbres et des forêts

Une enquête jubilatoire ! 
1961,  le village de P. est coupé du monde après de violents orages qui ont sérieusement endommagé les lignes téléphoniques. À la demande expresse du maire, Basile Boniteau, la procureur de la ville de M. envoie son meilleur officier de police… car on ne doit plus dire inspecteur depuis 1954…pour enquêter sur une macabre découverte qui pourrait avoir un effet dévastateur sur la réputation de ce trou inconnu de tout le monde mais où une usine toute neuve de confection de confiture entretient les espoirs de réussite du dit maire., Arrivé sur place, Michel – on apprend son prénom à la fin – hérite d'une adjoint efficace, Jean-Charles Provincio, le garde-champêtre, le fameux policier des fleurs, des arbres et des forêts.L'enquête peut commencer.
En effet, Joël a été égorgé, découpé en morceaux, mis dans des sacs de Galeries Lafayette et jeté dans une cuve de l'usine de confitures ! Il est donc nécessaire de faire toute la lumière sur cette sombre affaire. Force est de constater que les gens de la campagne sont bien expéditifs : le docteur-vétérinaire-médecin légiste a procédé à l'autopsie, le cadavre a été enterré dans une petite tombe et le deuil semble avoir été rapidement fait par certains habitants. Des travaux sont en cours pour ériger une statue de Joël sur la place du village afin de conserver sa mémoire et se souvenir de sa disparition macabre.Quelque peu agacé par toutes ces initiatives qui entravent ses investigations, l'officier de police cherche à s'acquitter on ne peut plus sérieusement de sa tâche. Il commence par interroger le tuteur. Joël, né de parents inconnus, avait été adopté par Félicien qui le faisait travailler. En face de chez ce tuteur, habite une certaine Martine qui fait des révélations révoltantes et n'aime pas du tout le garde-champêtre. Il faut aussi retrouver l’origine de gaillardes retrouvées sur les lieux du crime, ce qui sera l'occasion de faire la rencontre de la jolie fleuriste. Au fil de ses recherches, notre jeune officier rencontre les habitants de P. dont il trouve parfois le comportement déroutant mais il découvre aussi les charmes de la campagne (de l'épandage du lisier aux délicieuses balades bucoliques en passant par le calme). Son engagement est tel qu'il n'a de cesse d'informer la procureure de ses investigations via des lettres et des retranscriptions d'enregistrement - c'est qu'il est moderne ce Michel ! Les chapitres alternent donc entre correspondances et auditions. Dans ses missives, l'officier n'hésite pas à tout raconter (de ses premières impressions jusqu'à son mal de dos) avec une certaine candeur. Ses lettres sont donc souvent très cocasses, certaines scènes racontées surréalistes. La fin inattendue du roman (dont les indices sont pourtant distillés au gré des pages... mais c'est le principe de La lettre volée d'Edgar Poe. On a tous les éléments sous les yeux mais on ne les voit pas !) est assez jubilatoire.
J'avais bien aimé L'histoire du fakir enfermé dans une armoire ikéa écrit dans la veine de Paasilinna. Dans ce roman, Romain Puertolas campe à merveille la France des années soixante dans une écriture dynamique et certainement plus personnelle.
A lire !

jeudi 26 décembre 2019

Les simples

Ce nouvel opus de Yannick Grannec nous plonge en Provence, en 1584. Grâce à elle, nous pénétrons dans l'enceinte de l’abbaye de Notre-Dame du Loup où la communauté bénédictine mène une existence vouée à Dieu et à soulager les douleurs de Ses enfants. Leur vie est réglée par les offices mais aussi par les soins à prodiguer, les tâches quotidiennes à accomplir, les indigents à soulager, les herbes et les simples (nom donné aux plantes médicinales) à ramasser. Ces religieuses doivent leur indépendance inhabituelle à la faveur d’un roi, et leur autonomie au don de leur doyenne, sœur Clémence, une herboriste dont certaines préparations de simples sont prisées jusqu’à la Cour. Le nouvel évêque de Vence, Jean de Solines, dévoré par l'ambition, compte bien s’accaparer cette manne financière. Il dépêche, pour ce faire, deux vicaires dévoués, dont le jeune et sensible Léon, pour inspecter l’abbaye. À charge pour eux d’y trouver matière à scandale ou, à défaut... d’en provoquer un. Et cela viendra beaucoup plus vite que prévu.
En apparence, ce lieu est un véritable havre de paix, de vertu et de foi. Mais le diable se cache souvent dans les détails...... Et les manœuvres de Jean de Solines vont vite allumer un feu plus brûlant que celui de l'Enfer !  En l'espace de quelques semaines, l'harmonie se lézarde, se fissure et les portes sont grandes ouvertes pour l'arrivée du Malin qui sommeille en chacun. Évêque, abbesse, moniale, sœur, seigneur, jusqu'à Fleur, l'oblate (c'est-à-dire «une enfant consacrée à Dieu et donnée par son père aux louventines).... tous ont une part du diable en eux et quand celle-ci se dévoile au grand jour, quand les prières et les pénitences n'agissent plus, c'est le tourbillon, c'est la porte ouvertes aux diableries en tout genre, aux sorcières, aux exorcismes, à l'ordalie.
L'auteur tisse à merveille les fils de son intrigue, nous dévoilant peu à peu les âmes dissimulées sous un habit de foi. Où il est question d'amour, de haine, de jalousie, d'hypocrisie, d'ambition. L'écriture est agréable, l’intrigue bien menée et l'atmosphère de ce début de Renaissance à la fois religieuse et superstitieuse parfaitement rendue. Elle campe de beaux personnages comme sœur Clémence dont la bonté et le dévouement dissimulent les attaques de l'âge. Il y a chez certains personnages la truculence de ceux de jean Teulé et dans la description du cadre en harmonie avec la nature mais aussi dans l'examen du tréfonds des âmes du Carole Martinez. Une belle lecture !

lundi 23 décembre 2019

Un sacré bout de femme !

Dans son opus Dominique de Saint Pern nous raconte la jeunesse dorée mais pas si facile que ça d'Edmonde Charles Roux, fille de l'ambassadeur François Charles-Roux, habituée des salons et des palais dorés, lieux de pouvoir.
Mais les fées qui se sont penchées sur le berceau d'Edmonde n'ont pas décidé de lui offrir une vie si calme et si paisible. En 1938, tout se bouscule et la belle mécanique se grippe. Son fiancé Camillo Caetani, dont le mariage ferait d’elle une duchesse et une princesse, est tué sur le front albanais. Arrachée à la France de Vichy par l’intelligence d’un père qui sut déjouer les pièges de la collaboration, arrachée à la douceur du lien avec sa soeur, la belle Cyprienne, princesse del Drago, par l’Italie des Chemises noires, et le terrible secret qui unit celle-ci à Galeazzo Ciano, gendre de Mussolini, Edmonde voit ses repères vaciller. Mais c'est sans compter sur son incroyable énergie et sa force de caractère. Certes, elle continue de mener une vie de privilégiée (ski en cachemire à Mégève) mais elle sait aussi donner de sa personne, en renseignant la Résistance.
On skie en cachemire à Megève, mais on renseigne la Résistance. On joue du piano avec Samson François, mais on planque les réfugiés dans le jardin. On roucoule avec les Vilmorin, mais on compte les morts dans le Who’s Who macabre de la guerre. Sous les bombes, dans les officines du pouvoir, dans les infirmeries militaires, Edmonde le soldat de la 5e DB n’a pas froid aux yeux. En 1945, elle ne sera ni fiancée, ni duchesse, ni du beau monde, mais de tous les mondes à la fois. Et elle va se forger une personnalité étonnante. Indépendante, courageuse, optimiste, combattive et résiliente, certes Edmonde a de l'entregent mais elle l'utilise à bon escient et pour sauver les autres.
Au début de la lecture, on s'inquiète de cette plongée dans un univers digne de madame Figaro, on se demande quel peut être l'intérêt de suivre les pas d'une jeune femme très comme il faut. Mais Edmonde est d'une autre trempe que les princesses ou filles à papa, Edmonde a du caractère. Merci à Dominique Saint Pern de nous donner envie d'en connaître encore plus sur cette personnalité.