"Il faut cultiver notre jardin"

mercredi 20 mai 2020

Idaho

Dès les premières pages on sait que le pire est arrivé. Jenny a sauvagement et sans raisons apparentes tué sa plus jeune fille, May 6 ans, à coup de hache. L'aînée, June, neuf ans, a disparu.
Idaho, 1995, tout bascule pour cette famille qui était partie en montagne ramasser du bois par une chaude journée d'août. Jenny est condamnée et incarcérée, Wade, lui, va refaire sa vie neuf ans plus tard.
Si l'on revient sur ce drame familial c'est par l'intermédiaire d'Ann sa seconde épouse. Terrifiée à l'idée que les souvenirs de cette première famille disparaissent définitivement de la mémoire de Wade - il  souffre de démence sénile foudroyante et perd progressivement la mémoire - Ann cherche à reconstituer les fragments du passé de son époux.
« Un jour d'automne ensoleillé, allongée à côté de lui dans l'herbe, tandis qu'il somnolait, elle (Ann) a senti l'ancienne vie de Wade, ses souvenirs, s'évaporer à travers sa peau. Elle a senti que tout le quittait, tout sauf elle. Alors elle s'est à son tour vidée de sa propre vie pour être sur un pied d'égalité avec lui. Ils sont restés étendus l'un contre l'autre, tel un fragment dans le temps. Un nuage est passé devant le soleil et, à l'intérieur de Wade, il y a eu un basculement qu'elle a perçu. A ce moment-là, elle a laissé un basculement se produire à l'intérieur d'elle-même, et ainsi sils sont redevenus les êtres qu'ils étaient habituellement, encore tout chauds de l'amnésie qu'ils venaient de vivre. »
Anne va donc chercher à comprendre qui étaient cette épouse et ces petites filles vives et malicieuses. La vie d'avant va donc être reconstituée par bribes grâce aux récits de Wade mais aussi à ce que Anna pu saisir de ces gamines qu'elle a connues alors qu'elle était professeur de musique dans leur école.  May et June étaient deux sœurs qui grandissaient l'une avec l'autre, parfois aussi l'une contre l'autre : chamailleries, moments de complicités, beauté d'une éducation libre leur permettant de développer autonomie et imagination. Peu à peu Ann va comprendre qu'elle a peut-être une part de responsabilité dans ce drame, elle qui se serait immiscée, sans le savoir, dans le salon et dans l'habitacle du pick-up.
L'auteur nous transporte dans les paysages sauvages et âpres de l'Idaho où parfois l'homme peine à faire sa place, elle nous fait découvrir l'atmosphère de cette modeste demeure plantée dans la montagne mais surtout elle nous permet de suivre le cheminement des âmes des personnages. C'est aussi un roman qui, l'air de rien, pose des questions fondamentales. Comment vivre avec la perte et la culpabilité, le doute et le dégoût de soi ? Comment se reconstruire sur des ruines ? Ces questions sont particulièrement incarnées dans le personnage de Jenny et des ses compagnes de détention (des moments intenses).
Roman polyphonique jamais mièvre, Idaho se présente comme un puzzle temporel puisque la narration embrasse une période qui s'étend de 1973 à 2025. Le style est sobre mais puissant. Un roman qui nous emporte au fond des âmes et qui observe les êtres avec beaucoup d'empathie.
Une très belle découverte !
 

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