"Il faut cultiver notre jardin"

dimanche 19 juillet 2020

Lomig avant Dans la forêt

 Ce fut un plaisir de lire la somptueuse BD adaptée du superbe roman Dans la forêt et de rencontrer Lomig. Disponible, accessible et intéressant, cet auteur mérite d'être suivi.

Avant ce beau succès il a publié deux BD plutôt réussies.


Vacadab (vendeur d'aspirateur chinois à domicile avec argumentaire en béton) est une plongée dans le monde "délicieux" du démarchage à domicile. Étienne Guilbert est un commercial lambda, vendeur en porte-à-porte. ce métier, il l'exerce un peu par défaut, parce qu'il faut bien vivre et avoir quelques sous sur son compte en banque. Caustique et sévère sur le cynisme des méthodes mais aussi sur notre société de consommation, Lomig réussit avec brio à nous immerger dans une vie médiocre et rendue telle par la recherche constante de bénéfices et de profits. Ce n'est pas de la faute d’Étienne, jeune looser un peu paumé dans une société de plus en plus individualiste. C'est grinçant et vrai.


Le cas Fodyl nous plonge dans une dystopie plus qu'inquiétante car tellement proche de certaines

pratiques et de certains discours. Dans un futur proche, la société ne tolère plus les gens qui ne travaillent pas. Ils sont donc arrêtés et envoyés au « Centre Régional de Gestion des Cas » où ils sont reçus par des conseillers qui décident, selon la gravité de leur dossier, de peines de travaux forcés plus ou moins longues. Fodyl est un de ces agents. Employé modèle, il souffre de ne pas être mieux noté par ses supérieurs. Démotivé, aigri, il sent la carapace, qu’il s’est construite depuis l’enfance, peu à peu se fissurer.

Reprenant les codes de la dystopie, Lomig manie à merveille l'alliance de couleurs froides - propres à nous plonger dans une atmosphère délétère- et un scénario sobre et efficace. Une réflexion efficace sur le monde du travail et la question de la productivité, sans oublier de nous faire réfléchir à la déshumanisation possible dans un monde où l'on stigmatise et où l'on classe.

samedi 18 juillet 2020

Murène

 Un des coups de cœur de l'été ! Décidément, Valentine Goby est, pour moi, un auteur à suivre.

1956, c'est un soir d'hiver que la vie de François bascule. Perdu dans un paysage de neige, il est victime d'un grave accident lié à un arc électrique. Retrouvé par miracle et presque mort, c'est grâce à l'acharnement des médecins et d'une infirmière, mais aussi grâce à l'amour des siens qu'il va peu à peu revenir dans le monde des vivants. Enfin presque car il a perdu ses deux bras et n'est plus qu'un homme tronc. Lui qui avait toute la vie devant lui, qui débordait d'énergie et d'amour se retrouve soudain totalement dépendant des autres et de la technique. Il faut tout réapprendre, réinventer le moindre geste, ré-apprivoiser le monde, réapprendre à vivre en somme. Rééducation, appareillage ? les techniques médicales sont encore balbutiantes et limitées. Et puis il y a l’hésitation entre refuser et décider de poursuivre car, à 22 ans, c'est difficile de renoncer à sa vie, à ses rêves, ses ambitions. Jusqu'au jour où une visite dans un aquarium et un tête à tête avec une murène lui ouvre des perspectives : il découvre le handisport.

Murène raconte donc le combat d'un jeune homme courageux et têtu, malheureux et en colère, farouchement indépendant et dépendant des siens. Bref, François passe par des hauts et des bas et se métamorphose au fil des pages et des événements. On suit pas à pas ses progrès, on a envie de le soutenir, de le calmer lorsque la colère et le désespoir l'emportent. Dans l'eau, il s'apaise, il apprivoise ce corps mutilé qui, peu à peu devient un outil de liberté. Il se transforme physiquement mais aussi mentalement : il devient plus fort, reprend confiance et prend sa revanche sur la vie qui ne l'a pas épargné.

Une magnifique leçon de courage, un texte sobre et lumineux et nous rappelle que la volonté peut nous aider à nous dépasser. @ lire !

lundi 13 juillet 2020

Le dernier Camilla Läckberg

 Trois femmes qui ne se connaissent pas, trois femmes de milieux différents, trois femmes inconnues les unes aux autres et pourtant, un seul point commun, et pas des moindres.

Voici le peech de ce court roman : Ingrid Steen a renoncé à sa carrière de journaliste le jour où son mari infidèle a été promu éditeur en chef. Depuis, elle s'occupe de leur fille et s'efforce de maintenir l'image d'un mariage parfait.
Viktoria Brunberg est misérable, enchaînée aux fourneaux dans sa maison de Sillbo. Quand elle a découvert la véritable nature de son mari Malte, il était déjà trop tard.
Birgitta Nilsson, bientôt à la retraite, n'arrive pas à se libérer de son mari abusif. Depuis des années, elle fait tout pour cacher ses bleus.
Engluées dans des mariages destructeurs et toxiques, elles vont, via un forum sur le Net, conclure un pacte : chacune va commettre le meurtre parfait en assassinant le mari de l'une des autres.

Un court récit qui surfe sur la vague #Metoo. L'idée de départ est intéressante et le scénario est assez génial mais son traitement nous laisse sur sa faim.  Les hommes ont le plus mauvais rôle et sont décrits de manière assez caricaturale : violents, menteurs, alcooliques, gras, obscènes..... Quant aux femmes, l'auteur aurait pu camper de beaux personnages si il avait pris le temps de fouiller leurs caractères. néanmoins, l'ouvrage se lit d'une traite, preuve que ce meurtre vengeur par personne interposée était un bon point de départ.

dimanche 12 juillet 2020

Simone Veil, l'immortelle

 Cette grande dame, on la connaît tous, on l'admire tous et on lui doit beaucoup. 

Mon nouveau lycée portant fièrement son nom, je me devais de raviver mes connaissances sur cette grande dame. La BD de Pascal Bresson m'attendait sur le présentoir de ma bibliothèque préférée.

Vibrant hommage à Simone Veil, cet album brosse le portrait vrai de cette figure féministe populaire et discrète. Il se concentre sur deux forts de sa vie : la loi pour l’IVG défendue à l’assemblée nationale et son enfance à Nice avant d’être déportée avec sa famille.
Simone Jacob est née en 1927 à Nice. À 17 ans elle est déportée à Auschwitz, avec toute sa famille. Ses sœurs et elle reviendront du camp de concentration. Cette période l'a marquée à jamais. En 1946, elle épouse Antoine Veil. Magistrat, elle devient en 1974, ministre de la Santé de Valéry Giscard d'Estaing, chargée de défendre la loi sur l'IVG. En 1993, elle occupe à nouveau la fonction de ministre des Affaires sociales et de la Santé dans le gouvernement d'Édouard Balladur. Simone Veil a également été députée européenne et membre du Conseil constitutionnel. Elle était présidente d'honneur de la Fondation pour la mémoire de la Shoah. Cette femme de conviction s'est très peu confiée. Le grand public ne connaissait que sommairement son parcours de déportée. Elle a attendu d’avoir 80 ans pour écrire ses mémoires (Une Vie, Ed. Stock). Elle raconte que c'est une kapo, sans doute une prostituée Polonaise, qui lui a sauvé la vie en lui disant : «Tu es trop belle pour mourir ici...».

Jamais Simone Veil n'aura baissé les bras : ni face à la barbarie nazie ni face à ces vieux rétrogrades qui siégeaient sur les bancs de l'Assemblée ni face aux lettres de menaces ou aux pires insultes qu'on lui a assénées alors qu'elle se battaient pour que les femmes puissent décider de reprendre le contrôle sur leur corps. Car certains n'hésiteront pas à la souiller au mépris de son passé, comme par exemple Jean-Marie Daillet (député Centre démocrate) : « On est allé - quelle audace incroyable ! - jusqu'à déclarer tout bonnement qu'un embryon humain était un agresseur, eh bien ! Ces agresseurs, vous accepterez, madame, comme cela se passe ailleurs, de les voir jetés au four crématoire ou remplir des poubelles. »

Un album sobre et efficace qui alterne des planches aux couleurs qui varient selon les époques (le jaune de l'enfance brisée, le bleu des années 1970, le gris pour la déportation et les camps) : un hommage sobre, à l'image de la femme exceptionnelle que fut Simone Veil.

« L'horreur a fait de moi une femme sensible et pudique, à la fois dure et réservée, véhémente et sereine. »

@ lire, impérativement, pour que tout le monde se rappelle que les extrémismes et les esprits rétrogrades - quels qu'ils soient - ne font pas honneur à l'humanité.

vendredi 10 juillet 2020

BD pour démarrer l'été

 Où sont passé les grands jours ? Telle est la question qui semble hanter le protagoniste principal. Hugo est venu entretenir la tombe de son père avec sa compagne Alice. Le cadre lui rappelle la mort de son meilleur ami, Fred. "Je pense à cette saloperie de mort... Du coup je pense à toi Fred, mon meilleur ami, qui a eu la sale idée de nous quitter d'un commun accord avec toi-même." Il cherche alors à lui parler et compose son numéro de téléphone. Une voix lui répond...... mais ce n'est pas celle de Fred, et pour cause. Fred c'était le meilleur ami d'une jolie bande : Hugo, Etienne et Jean-Marc.

C'est l'histoire d'un départ, d'un manque, d'un vide mais c'est aussi l'histoire de trois cadeaux, laissés à titre posthume par Fred et qui, progressivement, changeront leur vie à tous. C'est enfin l'histoire du temps qui passe, des petits ressentis, de ces impressions que l'on garde au fond de soi, celles que l'on tait. Jusqu'à ce que tout explose, un jour... C'est une histoire d'amitié. Une histoire sur les rêves que l'on porte en soi. Ceux que l'on réalise et ceux que l'on ne réalise pas, en somme, ceux que l'on appelle les rêves perdus. Et si le départ de Fred devenait l'occasion d'un nouveau départ ? Pour Hugo il en est peut-être temps car on a le sentiment qu'il s'attache à détruire tout ce qui lui plaît. Un premier tome qui présente un personnage attachant dont on sent bien qu'il reste des parts d'ombre qu'il faudra dissiper.

Enferme-moi si tu peux est une Bd qui nous plonge au cœur de l'art Brut. Et c'est passionnant et parfaitement réalisé : de belles illustrations de Terkel Risbjerg., un parti-pris scénaristique intéressant puisque les six personnages entrent l'un après l'autre sur scène pour se raconter.

Entre la fin du XIXe et le milieu du XXe siècle, femmes, pauvres, malades et fous n'ont aucun droit. Parmi eux, Augustin Lesage, Madge Gill, le Facteur Cheval, Aloïse, Marjan Gruzewski et Judith Scott sont enfermés dans une société qui les exclut. Ils vont pourtant transformer leur vie en destin fabuleux. Un jour, du fond de leur gouffre, une inspiration irrépressible leur ouvre une porte. Sans culture, sans formation artistique, ils entrent comme par magie dans un monde de créativité virtuose. Touchés par la grâce ou par un « super-pouvoir de l'esprit », ils nous ont laissé des œuvres qui nous plongent dans un mystère infini. Ces oubliés de l'art brut (défini par Dubuffet et valorisé par les surréalistes) sont remis à l'honneur et se donnent à lire sans mièvrerie. C'est très enrichissant !

 

mardi 7 juillet 2020

En parallèle

Parce qu'en fin d'année on peut prendre le temps de butiner mais aussi parce que c'est bien d'alterner.
Trois romans lus en parallèle.

Capitaine d'Adrien Bosc dont j'avais adoré Constellation (son premier roman). Dans ce nouvel opus l'auteur se lance dans une fresque historique et ressuscite grâce à de nombreux documents et lectures l'odyssée du Capitaine-Paul-Lemerle à bord duquel s'embarquent ceux qui fuient la France de Vichy (immigrés de l'Est, juifs, républicains espgnols,; écrivains surréalistes et artistes décadents, savants et affairistes) : une véritable arche de Noé et un salon littéraire en pleine mer ! Sur le pont on croise Levi-Strauss, Breton, Wilfredo Lam, Anna Seghers, Victor Serge entre autres.
Très attirée par toutes ces personnalités, je me lance dans le roman que je trouve au final très intéressant dans le contenu mais beaucoup trop dense, tant par les citations et références que par une écriture trop lourdement travaillée (ce qu'il n'y avait pas dans Constellation). Pourvu qu'Adrien Bosc revienne à plus de simplicité dans le style ! 

Le second, Ce qu'elles disent, est inspiré d'un terrible fait divers. 
Entre 2005 et 2009, dans une communauté mennonite isolée de la Bolivie, appelée la colonie du Manitoba, du nom de la province du Canada, de nombreuses filles et femmes, le matin venu, éprouvaient de la difficulté à émerger du sommeil. On les avait agressées durant la nuit, et leur corps meurtri saignait. Il s’est avéré que huit hommes de la colonie s’étaient servis d’un anesthésiant vétérinaire pour plonger leurs victimes dans l’inconscience et les violer. Huit femmes – des grand-mères, des mères et des filles appartenant à la même communauté – se retrouvent dans le grenier d'une grange pour y tenir clandestinement un conseil de femmes. Il s'agit pour elles de trancher la terrible question : rester ou partir ? Elles échangent, se taquinent, se consolent, argumentent, les paroles fusent..... et sont consignées par l’instituteur August Epp, qui a été convoqué pour assister aux conversations de ces femmes analphabètes.
Un livre très riche, mais dont la lecture est par moments laborieuse : les discussions des femmes partent parfois dans tous les sens, on a du mal à cerner les différents personnages au début, il y a des redondances et c'est parfois décousu. Certes la question de femmes qui prennent en mains leur destin jusqu'alors essentiellement dicté par des hommes est intéressantes mais l'auteur peine à donner une belle cohérence au récit entrecoupé de réflexions philosophiques, de paraboles (pour bien insister sur le fait que ces femmes - peu éduquées - ne maîtrisent pas l'art de la parole) et des digressions d'August, Bref, Ce qu'elles disent est un récit certes original et intéressant, qui rappelle que la religion est un outil de pouvoir mais qui peine néanmoins à instiller de la vérité et de l’humanité à la narration.  
L'été des quatre rois nous permet de réviser notre histoire dans un fauteuil.

Les Trois Glorieuses, c'est-à-dire trois journées de juillet 1830 où Paris s'échauffe en insurrection.
Nous suivons d'heure en heure le déclin du règne des Bourbons et la mise au pouvoir du duc d'Orléans, de la branche cadette des Bourbons. Charles X consent finalement à abdiquer, au profit de son petit-fils, court-circuitant ainsi le duc d'Angoulême qui ne se rebiffe même pas : Louis XIX est roi pendant une demi-journée et le duc de Bordeaux devient Henri V (il restera le représentant des Légitimistes) sous la protection de Louis-Philippe, régent… Les tracasseries politiques, les rumeurs, les luttes intestines, les jalousies, les retournements de veste, les confusions, les discutailleries d'amour-propre entre ministres, conseillers, officiers, et journalistes dont Thiers (qui n'apparait plus dans la 2e moitié du livre), tout ceci est raconté dans le détail par Camille Pascal qui nous immerge avec brio dans la Révolution de 1830.