"Il faut cultiver notre jardin"

jeudi 17 juillet 2014

Les poissons ne ferment pas les yeux

Cela faisait depuis longtemps que je n'avais pas lu Erri De Luca. Ce grand monsieur ciseleur de mots signe là un très joli roman d'apprentissage. Parvenu à "l'âge d'archive", il revient sur l'été de ses dix ans. Comme tous les étés, il descend dans l'île où il retrouve avec plaisir les pêcheurs, la mer, les grandes baignades.... Comme toujours, il se sent exclus, transparent dans ce corps dont il sent qu'il change, enveloppe qu'il considère comme trompeuse car elle change moins vite que l'intérieur.
C'est avec une grande sensibilité que Erri De Luca dépeint la mutation qui se fait jour l'été de ces dix ans. Il n'est plus un enfant, il n'est pas un adulte, il flotte dans un entre deux où les livres et les mots-croisés ne sont plus les seuls à tenir de la place. Une fillette apparaît sur la plage. Elle est passionnée par les animaux, ne le regarde pas de travers comme les autres qui le prennent pour un intello et va même l'obliger à revoir son acception du mot "aimer" dont il trouvait jusqu'alors que les adultes en faisaient des tonnes. Cet été-là, donc il découvre l'amour mais aussi la violence, la cruauté (quand il se fait tabasser par trois garçons jaloux) et la vengeance.
Un très joli livre, écrit dans une langue superbe.

"La cloche sonnait et le vieil homme retira sa présence. J'aimais être abrité par le coucher du soleil, ne pas voir la fin certifiée du jour, avec le soleil disparu dans la mer. Alors, je préférais l'aube. Aujourd'hui, je cherche le coucher du soleil dans toutes les îles où je me rends. Je vais à l'ouest à l'heure où il se vide dans la mer. Aujourd'hui je racle l'assiette de l'horizon jusqu'à la dernière lumière."
"-Tu aimes l'amour ? (...)
- Aujourd'hui, je le sais, il provoque des changements et les personnes aiment changer. Je ne sais pas si j'aime ça, moi, mais je l'ai et avant il n'était pas là.
- Tu l'as ?
- Oui, je me suis aperçu que je l'avais. Ca a commencé par ma main, la première fois que tu me l'as tenue. "Maintenir" est mon verbe préféré. (...) Ca a commencé par ma main qui est tombée amoureuse de la tienne. Puis ça a été le tour des blessures, qui se sont mises à guérir très vite, le soir où tu es venue me voir et où tu m'as touché. (...)
- Alors, tu aimes l'amour ?
- C'est dangereux. Il en sort des blessures, et puis, pour la justice, d'autres blessures. ce n'est pas une sérénade sous un balcon, il ressemble à une tempête de libeccio, il malmène la mer au-dessus, et au-dessous, il la trouble. Je ne sais pas si je l'aime."

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