Fin de la trilogie de Jon Kalman Stefansson pour moi. Un magnifique conseil (merci Anne !).
Entre ciel et terre, La tristesse des anges et Le coeur de l'homme
constituent les trois tomes d'une oeuvre magnifique. Comment la
désigner ? roman d'initiation ou d'apprentissage ? ode à la vie ? hymne à
la poésie, aux mots et à la littérature ? roman d'aventures ou roman
introspectif ? C'est un peu tout à la fois.
En
Islande, le climat et la vie sont rudes. C'est une terre âpre, aride
qui enfante des hommes à son image. Ils doivent se battre avec la
nature, le froid, le vent, la mer dont ils tirent leur subsistance. Le
personnage principal, le gamin, est âgé d'une vingtaine d'années. Il
travaille dur dans un équipage de pêcheurs qui doit extraire les morues
des entrailles marines. Un matin, Bardur, l'ami et mentor du gamin, trop
absorbé par les vers du Paradis perdu de Milton, oublie
d'emporter sa vareuse. Le temps est glacial ce matin là et l'oubli lui
est fatal malgré tous les efforts du gamin pour le ramener à la vie. «
Un homme sans vareuse se retrouve
ruisselant en un temps infime, le froid s'empare de lui comme un étau et
ne le lâche plus, en tout cas, pas ici, en pleine mer. » Bouleversé par
cette mort tragique, le gamin se met en tête de rapporter l'ouvrage
maudit à son propriétaire, un vieux capitaine aveugle. Il marche sous la
neige, dans le vent et ne trouve plus de raisons valables de vivre : à
l'issue de son périple, il mourra et rejoindra les fantômes de ses morts
(ses parents, sa soeur, Bardur...). « Il a rendu le livre, mission
accomplie, merci bien, la prochaine
affaire à l'ordre du jour consiste à décider s'il doit vivre ou mourir. »
Mourir et rejoindre ses chers disparus ou les honorer en restant vivant
et en cultivant l'amour des mots et de la poésie, tel est le choix du
gamin. Mais c'est sans compter sur les fortes personnalités de Kolbeinn, Helga
et Geirbrudur qui l'accueillent dans leur maison et le ramènent à la
vie.
Le
deuxième tome nous entraîne, après un périple maritime, dans une marche
harassante, dans la campagne désolée du Nord de L'Islande. Le gamin
accompagne Jens le postier (qui est tout de même arrivé quasi congelé
sur sa monture dans leur village) pour l'aider à accomplir une tournée
dantesque dans les fjords dangereux. Le frêle jeune homme amoureux des
mots et le géant taciturne vont malgré tout s'entendre et vont apprendre
à s'apprécier malgré les épreuves qu'ils rencontrent (le froid, le
vent, les tempêtes, la neige ne les ménagent pas). Ils font face aux
éléments, livrent le courrier au péril de leur vie et au gré des
rencontres riches et variées (un pasteur mélancolique, une petite fille
agitée d'une mauvaise toux, un fermier qui vient de perdre son
épouse...).
Dans le troisième tome,
Jens et le gamin reprennent la route après avoir reconstitué leurs
forces et fait connaissance avec quelques personnes du village où ils
ont trouvé refuge. Une jeune fille rousse, notamment, suscite l'intérêt
du gamin, tant du fait de la couleur de ses cheveux que de son attitude
distante et curieuse à la fois. C'est donc le tome de la renaissance en
quelque sorte, d'autant que c'est le printemps et que la neige fond, les
jours allongent. Le gamin retrouve donc, après avoir enterré la femme
du fermier Bjarni, Geirbrudur, Kolbeinn et la douceur de leur maison. Il
reprend les cours d'anglais, de philosophie mais découvre aussi le
poids des mots qu'il couche sur le papier lorsque Andrea, la femme du
pêcheur Petur, vient les rejoindre après avoir lu la lettre dans
laquelle il l'enjoignait de quitter cet homme au coeur si sec. Il
reprend sa vie d'avant mais reste marqué par les rencontres qu'il a
faites par-delà les fjords et ne cesse de se poser des questions sur le
temps qui passe, la soif de savoir des hommes, leur goût pour le pouvoir
et les difficultés qu'ils ont de laisser chacun vivre leur vie. Il sent
également un besoin irrépressible de s'épuiser physiquement (il court
tous les jours) comme pour chasser de son corps un trop plein d'énergie
qu'il ne réussit pas à nommer. Car c'est le moment de l'éveil au désir
et ses pensées ne cessent de se tourner vers cette jeune femme
rousse....
Trois romans magnifiques
qui peignent un tableau rude et sauvage de l'Islande, qui nous
entraînent dans des paysages sublimes et terrifiants à la fois et
brossent aussi de beaux portraits d'hommes et de femmes généreux,
entiers, volontaires même s'ils sont malmenés par les éléments. C'est un
texte extrêmement bien écrit, poétique et puissant qui nous emporte au
fil des pages.
"La vie doit être un scintillement d'étoiles et non un abîme de deuil et de souffrance. (...) J'ai toujours cru que que le savoir et les livres rendaient heureux. Je sais aujourd'hui que je me trompais mais
c'est la seule chose que je sache. La vie est difficile, mais elle est
tout de même plus facile que la mort, cette saloperie qui nous prive de
tout. Je veux dire de toutes les occasions possibles. Elle nous ôte nos
yeux et nous empêche de lire, nous enlève nos oreilles et empêche
quiconque de lire à voix haute pour nous distraire, nous prive de nos
bras et on ne peut jamais étreindre celui qui compte le plus pour nous,
jamais plus toucher celle qu'on veut toucher, trop de mains et de bras
ont quitté ce monde. J'ignore où ils sont partis, je les vois en rêve,
mais ils ne peuvent plus toucher personne. Autrefois, il n'y a pas encore très longtemps, je pensais
que la seule façon de les atteindre était de mourir également. Mais je
savais que je me trompais. Un jour, j'ai reçu une lettre où il était
écrit que je devais vivre. Mais voilà, je ne voyais pas dans quel but.
Il est important de le savoir, on ne saurait vivre pour la seule raison
qu'on n'est pas mort, ce serait une trahison. Il faut vivre comme une
étoile qui scintille. "
www.telerama.fr/livres/entre-ciel-et-terre,54719.php
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire