Il s'appelle Nsaku Ne Vunda, il est né vers 1583 sur les rives du fleuve
Kongo. Orphelin élevé dans le respect des ancêtres et des traditions,
éduqué par les missionnaires, baptisé Dom Antonio Manuel le jour de son
ordination, le voici, au tout début du XVIIe siècle, chargé par le roi
des Bakongos de devenir son ambassadeur auprès du pape. En faisant ses
adieux à son Kongo natal, le jeune prêtre ignore que le long voyage
censé le mener à Rome va passer par le Nouveau Monde, et que le bateau
sur lequel il s'apprête à embarquer est chargé d'esclaves...
Voici le résumé d'un roman dont m'a parlé avec intensité une collègue qui a eu le plaisir de rencontrer l'auteur; roman acheté pour le travail (préparation de cours pour mes 1ères et réflexions sur le regard éloigné) mais aussi pour sa jolie couverture aux doux flamands roses (spéciale dédicace à Atthalie) qui côtoient des fleurs multicolores.
J'ouvre l'ouvrage et me plonge avec délices dans cette histoire vraie et rocambolesque.
Dom Antonio Manuel a été repéré par ses parents adoptifs et ses maîtres pour sa foi, son intelligence et la pureté de ses intentions. C'est donc avec une certaine angoisse mais aussi la foi chevillée aux corps qu'il entreprend la mission qui lui a été confiée : non pas devenir ambassadeur mais témoigner des atrocités commises à l'encontre des Bakongos. Et c'est un véritable enfer que va vivre le jeune prêtre. Sitôt embarqué sur le
Vent Paraclet, commandé par Louis de Mayenne, sévère
capitaine et homme d'affaire dénué de toute morale, le héros découvre les pratiques ignominieuses qui s'exercent contre son peuple, traité comme de la vulgaire marchandise et réduit à l'état de choses dans les cales du bateau. Car c'est bien la terrible expérience de l'esclavage (et son lot de comportements inhumains, d’attitudes infâmes, d'odeurs nauséabondes et de drames, sans oublier les mauvais traitements, la malnutrition et la mort qui rôde) à laquelle il se confronte, tel un Candide africain qui découvre de l'intérieur le commerce triangulaire. Viennent s'ajouter l'expérience de la cupidité des hommes, leurs appétits insatiables, la lubricité, l'intolérance. La deuxième partie de la navigation n’est pas des plus calmes car le périple qui doit les ramener de la côte brésilienne à l'Europe est semé d'embûches, et pas des moindres. Le Vent Paraclet se fait arraisonner par un pirate hollandais converti à l'Islam et qui offre ses services au Raïs d'Alger tout en ménageant les intérêts de la Papauté qui entend bien maintenir son influence par-delà les mers... un véritable imbroglio religieux-politico-diplomatique dans lesquels notre malheureux personnage devient un pion sur un échiquier bien trop complexe pour lui. Certes sauvé d'un carnage absolu, digne des plus épisodes de la piraterie, il poursuit sa route et sa découverte des vicissitudes de l'âme humaine. Arrivé sur la terre ferme, il lui faudra encore rivaliser de ruse et d'astuce pour échapper au pire. Et c'est sans compter sur la terrible Inquisition bien décidée à imposer sa loi entre les griffes duquel il tombera pour des raisons fallacieuses avant d'être sorti in extremis des griffes de cette institution, véritable monstre d'intolérance et diable qui officie au nom de la religion. Le héros accomplira sa mission dans un sens puisqu'il rencontrera le Pape mais il prendra aussi le mesure de la vanité des hommes et de la distance qui les sépare dans leur manière de vivre leur foi.
« Mais l'être insignifiant qui m'adressa un regard ne sut que me tendre la pierre précieuse de sa bague. Je venais lui dire les souffrances d'enfants, de femmes et d'hommes oppressés, niés, livrés à l'arbitraire, et lui me réclamait un acte de subordination. »
« Mais l'être insignifiant qui m'adressa un regard ne sut que me tendre la pierre précieuse de sa bague. Je venais lui dire les souffrances d'enfants, de femmes et d'hommes oppressés, niés, livrés à l'arbitraire, et lui me réclamait un acte de subordination. »
Roman d'aventures, d'apprentissage, roman historique, d'initiation, ce roman est tout cela à la fois. C'est aussi le récit d'une amitié pure et noble qui va le lier à un matelot frêle et sensible, compagnon d'infortunes avec lequel il partage plus que ses angoisses. De leurs échanges naît un monde, une belle de douceur et d'humanité. Car ce roman est surtout c'est un hymne à la tolérance, à la fraternité, à l'égalité, soutenu par une écriture ciselée et élégante, poétique et sensible, précise et acérée quand c'est nécessaire. Une belle alchimie de mots pour porter un message clair et vibrant, une narration dont le rythme suit celui des aventures mais aussi le flux des réflexions et des souvenirs de notre jeune prêtre déraciné de son Congo majestueux.
Wilfried N'Sondé nous offre une narration intemporelle et posthume. C'est sous forme d'une
confession à la première personne que le récit nous est livré : ainsi nous plongeons au cœur d'une expérience vécue qui acquiert une force inouïe. Un roman d'espérance qui nous fait traverser l'horreur pour mieux mettre à distance ce dont nous ne nous voulons pas.